Texte 1 : Ambroise Paré, Des monstres et des prodiges (1573)
Ambroise Paré, né vers 1510 au Bourg-Hersent, près de Laval, et mort le 20 décembre 1590 à Paris, est un chirurgien et anatomiste français. Ambroise Paré est le chirurgien des champs de bataille, le père de la chirurgie moderne. Il est l'inventeur de nombreux instruments. La généralisation alors relativement récente de l’usage des armes à feu rend les chirurgiens familiers avec des plaies d'une sorte nouvelle, que l’on cautérise au fer rouge ou à l’huile bouillante au risque de tuer le blessé. Paré met au point la ligature des artères, qu'il substitue à la cautérisation, dans les amputations. « Je le pansay, Dieu le guarist. » On cite volontiers cette phrase modeste de Paré pour résumer sa philosophie (citation en moyen français signifiant : « Je le pansai et Dieu le guérit. »
Dans Des monstres et prodiges (1573), le médecin Ambroise Paré étudie le phénomène des monstres. Dans l'extrait suivant, il s'attache à expliquer pourquoi les enfants monstrueux viennent au monde.
Chapitre III - "De l'ire (1) de Dieu"
"Il y a d'autres créatures qui nous étonnent doublement, parce qu'elles ne procèdent pas des causes susdites (2), mais d'une confusion d'étranges espèces qui rendent la créature non seulement monstrueuse, mais prodigieuse : c'est-à-dire, qui est tout à fait abhorrente (3) et contre nature, comme pourquoi (4) sont faits ceux qui ont la figure d'un chien et la tête d'une volaille, un autre ayant quatre cornes à la tête, un autre ayant quatre pieds de boeufs et les cuisses déchiquetées, un autre ayant la tête d'un perroquet, et deux panaches sur la tête, et quatre griffes, et autres formes que tu pourras voir par plusieurs et diverses figures ci après dépeintes à leur ressemblance. Il est certain que le plus souvent ces créatures monstrueuses et prodigieuses procèdent du jugement de Dieu, lequel permet que les pères et les mères produisent de telles abominations au désordre qu'ils font en la copulation comme bêtes brutes (5), où leur appétit les guide, sans respecter le temps ou autres lois ordonnées de Dieu et de Nature, comme il est écrit dans le livre d'Esdras le Prophère (6), que les femmes souillées de sang menstruel engendreront des monstres (...). Les anciens estimaient tels prodiges venir souvent de la pure volonté de Dieu, pour nous avertir des malheurs dont nous sommes menacés de quelque grand désordre; ainsi que le cours ordinaire de nature semblait être perverti en une si malheureuse engeance. (7) (...) Du temps que le pape Jules Second suscita tant de malheurs en Italie et qu'il eut la guerre contre le roi Louis XII (1512), laquelle fut suivie d'une sanglante bataille donnée près de Ravenne, peu de temps après on vit naître en la même ville un monstre ayant une corme à la tête, deux ailes et un seul pied semblable à celui d'un oiseau de proie, à la jointure du genou un oeil, et participant de la nature du mâle et de femelle comme tu vois par ce portrait." Ambroise Paré, Des monstres et des prodiges, 1573 Texte 2 : Michel De Montaigne, Les Essais, Livre II, chap. 30, « Au sujet d'un enfant monstrueux » (1595), trad. d'André Lanly. Je vis avant-hier un enfant que deux hommes et une nourrice, qui disaient être le père, l'oncle et la tante, conduisaient pour le montrer à cause de son étrangeté et pour tirer de cela quelque sou. Il était pour tout le reste d'une forme ordinaire et il se soutenait sur ses pieds, marchait et gazouillait à peu près comme les autres enfants de même âge […] ; ses cris semblaient bien avoir quelque chose de particulier : il était âgé de quatorze mois tout juste. Au-dessous de ses tétins, il était attaché et collé à un autre enfant sans tête et qui avait le canal du dos bouché, le reste intact, car s'il avait un bras plus court que l'autre, c'est qu'il lui avait été cassé accidentellement à leur naissance ; ils étaient joints face à face et comme si un plus petit enfant voulait en embrasser un second […]. Les [êtres] que nous appelons monstres ne le sont pas pour Dieu, qui voit dans l'immensité de son ouvrage l'infinité des formes qu'il y a englobées ; et il est à croire que cette forme, qui nous frappe d'étonnement, se rapporte et se rattache à quelque autre forme d'un même genre, inconnu de l'homme. De sa parfaite sagesse il ne vient rien que de bon et d'ordinaire et de régulier ; mais nous n'en voyons pas l'arrangement et les rapports. « Quod crebro videt, non miratur, etiam si cur fiat nescit. Quod ante non vidit, id, si evenerit, ostentum esse censet." » [Ce que (l'homme) voit fréquemment ne l'étonne pas, même s'il en ignore la cause. Mais si ce qu'il n'a jamais vu arrive, il pense que c'est un prodige.] Nous appelons « contre nature» ce qui arrive contrairement à l'habitude : il n'y a rien, quoi que ce puisse être, qui ne soit pas selon la nature. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l'erreur et l'étonnement que la nouveauté nous apporte. |