Lecture complémentaire 1 : ouverture sur l'antiquité - la prosopopée des lois, de Platon.

Platon (né à Athènes en 428-427 av. J.-C., mort en 348-347 av. J.-C.1) est un philosophe grec, contemporain de la démocratie athénienne et des sophistes, qu'il critiqua vigoureusement. Il reprit le travail philosophique de certains de ses prédécesseurs, notamment Socrate, afin d'élaborer sa propre pensée qui explore la plupart des champs importants, notamment la métaphysique, l'éthique, et la politique.


Son œuvre, composée presque exclusivement de dialogues. Chaque dialogue de Platon interroge un sujet donné, par exemple le beau ou le courage. La pensée de Platon n'est pas monolithique : une partie de ses dialogues aboutissent à des apories philosophiques, et ses dialogues qui apportent une solution aux problèmes posés ne constituent pas une réponse unique et définitive.

PLATON : la prosopopée des Lois
(Criton, 50 a-c)

 

Criton est un dialogue de Platon, à la tonalité éthique. Cette œuvre est une conversation entre Socrate et son disciple Criton, ayant pour sujet le devoir. Criton essaie de convaincre Socrate de s'échapper de la prison où il attend la mort suite à sa condamnation, rapportée dans l’Apologie de Socrate. Socrate refuse, imaginant ce que lui diraient les lois, sans qui il ne serait rien, s'il les violait en s'échappant. Il conclut que l'évasion constituerait une ingratitude envers les lois qui ont fait se rencontrer ses parents, qui l'ont éduqué, bref qui l'ont façonné tel qu'il est. Ce texte est très révélateur de l'importance de l'existence de lois et de la "cité de droit" pour les Athéniens de l'époque classique.

 

Pour faire comprendre à son disciple qu’il ne peut pas accepter de s’échapper de prison, Socrate a recours à la prosopopée. Il met en scène les lois, qu'il fait parler : il fait des lois une entité vivante, et la démonstration s'en trouve dramatisée, ce qui lui donne sans doute plus de pertinence. Ces effets de la prosopopée prennent toute leur importance dans le discours qu'elles tiennent. En effet, Socrate compare d'abord les lois à des parents, auxquels les enfants doivent se soumettre comme esclaves, selon la loi athénienne (en particulier au père). Les lois sont ensuite les représentantes de la cité, à laquelle elles donnent vie : c'est grâce aux lois sur le mariage que les Athéniens se marient, et donnent naissance. Enfin, ce sont elles aussi qui garantissent le bien-être commun. Refuser de leur obéir serait donc un acte criminel envers sa propre patrie, et, de là, pour ainsi dire contre soi-même. Résumons : les lois sont l'âme de la cité, ne pas les respecter, c'est mettre sa patrie en danger, et contester une autorité d'autant plus indiscutable qu'elle est familiale. C'est pour cela que Socrate ne peut que s'y soumettre. Remarquons seulement que cette soumission n'est pas une soumission aveugle. Si la patrie agit mal, les citoyens doivent la conseiller, la persuader d'agir mieux. L'exemple de Socrate est à ce titre intéressant : il contesta le régime autoritaire des Trente, et les décisions prises contre les généraux lors de la bataille des Arginuses.

                                                                                                                    Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Criton_(Platon)

SOCRATE

(…) Cela posé, examine maintenant cette question : En sortant d'ici sans le consentement des Athéniens, ne ferons-nous point de mal à quelqu'un, et à ceux-là précisément qui le méritent le moins? Tiendrons-nous la promesse que nous avons faite, la croyant juste, ou y manquerons-nous ?

 

CRITON.
Je ne saurais répondre à cette question, Socrate; car je ne l'entends point.

 

SOCRATE.
Voyons si de cette façon tu l'entendras mieux. Au moment de nous enfuir, ou comme il te plaira d’appeler notre sortie, si les Lois et la République elle-même venaient se présenter devant nous et nous disaient : « Socrate, que vas-tu faire? L’action que tu prépares ne tend-elle pas à renverser, autant qu'il est en toi, et nous et l'état tout entier? car, quel état peut subsister, où les jugements rendus n'ont aucune force, et sont foulés aux pieds, par les particuliers? » que pourrions-nous répondre, Criton, à ce reproche à beaucoup d'autres semblables qu’on pourrait nous faire? car que n’aurait-on pas à dire, et surtout un orateur, sur cette infraction à la loi, qui ordonne que les jugements rendus seront exécutés? Répondrons-nous que la République nous a fait injustice, et qu'elle n'a pas bien jugé? Est-ce là ce que nous répondrons?

 

CRITON.
Oui, sans doute, Socrate, nous le dirons.

 

SOCRATE.
Et les lois que diront-elles? « Socrate, est-ce de cela que nous sommes convenus ensemble, ou de te soumettre aux jugements rendus par la république? » Et si nous paraissions surpris de ce langage, elles nous diraient peut-être : « Ne t'étonne pas, Socrate; mais répond-nous puisque tu as coutume de procéder par questions et par réponses. Dis; quel sujet de plaintes as-tu donc contre nous et la République, pour entreprendre de nous détruire ? N'est-ce pas nous à qui d'abord tu dois la vie? N'est-ce pas sous nos auspices que ton père prit pour compagne celle qui t'a donné le jour? Parle; sont-ce les lois relatives aux mariages qui te paraissent mauvaises? - Non pas, dirais-je. - Ou celles qui président à l'éducation, et suivant lesquelles tu as été élevé toi-même? ont-elles mal fait de prescrire à ton père de t'instruire dans les exercices de l'esprit et dans ceux du corps? - Elles ont très bien fait. – Eh bien ! si tu nous doit la naissance et l’éducation, peux-tu nier que tu sois notre enfant et notre serviteur, toi et ceux dont tu descends? Et s’il en est ainsi, crois-tu avoir des droits égaux aux nôtres, et qu'il te soit permis de nous rendre tout ce que nous pourrions te faire souffrir? Eh quoi! à l'égard d'un père; où d'un maître si tu en avais un, tu n’aurais pas le droit de lui faire ce qu'il te ferait; de lui tenir des discours offensants, s'il t'injuriait; de le frapper, s'il te frappait, ni rien de semblable; et tu aurais ce droit envers les lois et la patrie ! et si nous avions prononcé ta mort, croyant qu'elle est juste, tu entreprendrais de nous détruire! et, en agissant ainsi, tu croiras bien faire, toi qui as réellement consacré ta vie à l'étude de la vertu! Ou ta sagesse va-t-elle jusqu'à ne pas savoir que la patrie a plus droit à nos respects et à nos hommages, qu'elle est et plus auguste et plus sainte devant les dieux et les hommes sages, qu'un père, qu'une mère et tous les aïeux; qu'il faut respecter la patrie dans sa colère, avoir pour elle plus de soumission et d'égards que pour un père, la ramener par la persuasion: Ou obéir à ses ordres, souffrir, sans murmurer, tout ce qu'elle commande de souffrir! fût-ce ; d'être battu, ou chargé, de chaînes; que, si elle nous envoie à la guerre pour y être blessés ou tués, il faut y aller; que le devoir est là; et qu'il n'est permis ni de reculer, ni de lâcher pied, ni de quitter son poste; que, sur le champ de bataille, et devant le tribunal : et partout, il faut faire ce que veut la république, ou employer auprès d'elle les moyens de persuasion que la loi accorde ; qu'enfin si c'est une impiété de faire violence à un père et à une mère c’en est une bien plus grande de faire violence à la patrie? » Que répondrons-nous à cela, Criton? reconnaîtrons-nous que les Lois disent la vérité ?

 

CRITON.
Le moyen-de s'en empêcher ?

Traduction Victor Cousin

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