SÉQUENCE III (1ère S2) : LE SAUVAGE ET LE CIVILISÉ (séquence M. Depaty)


texte 1 : Montaigne.

Montaigne, Essais, I, 31, « Des Cannibales », (orthographe modernisée), 1595

Montaigne décrit les tribus indigènes « découvertes » dans le Nouveau Monde. Les lettres entre crochets correspondent aux différents états du manuscrit : [A] :  le texte correspond à celui de 1580, [B] : ajout de l'édition de 1588, [C] ajout de l'édition de 1595.

[A] Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n'avons autre mire[1] de la vérité et de la raison que l'exemple et l'idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police[2], parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits ; là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice[3] et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardie[4] en ceux-cy, et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. [C] Et si pourtant[5], la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l'envi des nôtres[6], en divers fruits de ces contrées-là sans culture. [A] Ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions, que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que[7], partout où sa pureté reluit, elle fait merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises,

[B] Et veniunt ederae sponte sua melius,

Surgit et in solis formosior arbutus antris,

Et volucres nulla dulcius arte canunt[8]

[A] Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté et l'utilité de son usage, non pas[9] la tissure de la chétive araignée. [C] Toutes choses, dit Platon, sont produites par la nature, ou par la fortune, ou par l'art; les plus grandes et les plus belles, par l'une ou l'autre des deux premières; les moindres et imparfaites, par la dernière.

[A] Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de leçon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres; mais c'est en telle pureté, qu'il me prend quelquefois déplaisir de quoi la connaissance n'en soit venue plus tôt, du temps qu'il y avait des hommes qui en eussent su juger mieux que nous. Il me déplaît que Lycurgue et Platon ne l’aient eue ; car il me semble que ce que nous voyons par expérience, en ces nations, surpasse non seulement toutes les peintures de quoi la poésie a embelli l’âge doré et toutes ses inventions à feindre une heureuse condition d’hommes, mais encore la conception et le désir même de la philosophie. ils n’ont pu imaginer une naïveté si pure et simple, comme nous la voyons par expérience ; ni n’ont pu croire que notre société se peut maintenir avec si peu d’artifice et de soudure humaine. C’est une nation, dirais-je à Platon, en laquelle il n’y a aucune espèce de trafic ; nulle connaissance de lettres ; nulle science de nombres ; nul nom de magistrat, ni de supériorité politique ; nuls usages de service, de richesse ou de pauvreté ; nuls contrats ; nulles successions ; nuls partages ; nulles occupations qu’oisives ; nul respect de parenté que commun ; nuls vêtements ; nulle agriculture ; nul métal ; nul usage de vin ou de blé. Les paroles mêmes qui signifient le mensonge, la trahison, la dissimulation, l’avarice, l’envie, la détraction, le pardon, inouïes. Combien trouverait-il la république qu’il a imaginée éloignée de cette perfection : « Viri a diis recentes[10] » :

« Hos natura modos primum dedit »[11]


Question : étudiez la stratégie argumentative de l'auteur.

Travail d’adaptation (réduction de l’étude à 10 minutes), prise en compte de la question

 

Introduction : attention : la lecture précède la problématique et l’annonce du plan.

Lecture : excellente.

10’33 : parfait.

Exposé clair, articulé (on sait que tu en es au II. B, par exemple)

 

    Très bien.

Qualité des remarques (aucune erreur, incompréhension…)

 

·       Attention : tu confonds 3e personne du pluriel et 1ère pers : « Nous ».

 

Aisance à l’oral (pas trop d’hésitations, force de conviction)

 

Remarquable ! Tu es né pour ça !

Elocution (articulation, volume…)

 

Parfaite.

Expression corporelle (ni trop statique, ni trop expressif, intensité du regard)

 

Impeccable !

Tout cela est très maîtrisé, et intéressant. Bravo, encore.  


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Texte 2 : Cyrano de Bergerac

Savinien de Cyrano, dit de Bergerac, 1619-1655, l’Autre monde ou les États et empires de la lune.

Le narrateur de ce roman parvient à se rendre sur la lune à l’aide d’une sorte de fusée. Il rencontre ses habitants et découvre leur mode de vie : les Séléniens marchent à quatre pattes, se nourrissent de fumée et leur monnaie d'échange est le poème ! À la cour de la lune, le narrateur est décrété singe et doit jouer le rôle de la femelle auprès d'un Espagnol. Tout le monde commence à se demander si ces deux personnages ne sont pas finalement humains.

[…] Cette créance allait prendre racine à force de cheminer, sans les prêtres du pays qui s’y opposèrent, disant que c’était une impiété épouvantable de croire que non seulement des bêtes, mais des monstres fussent de leur espèce. Il y aurait bien plus d’apparence, ajoutaient les moins passionnés, que nos animaux domestiques participassent au privilège de l’humanité et de l’immortalité par conséquent, à cause qu’ils sont nés dans notre pays, qu’une bête monstrueuse qui se dit née je ne sais où dans la lune ; et puis considérez la différence qui se remarque entre nous et eux. Nous autres, nous marchons à quatre pieds, parce que Dieu ne se voulut pas fier d’une chose si précieuse à une moins ferme assiette ; il eut peur qu’il arrivât fortune de l’homme ; c’est pourquoi il prit lui-même la peine de l’asseoir sur quatre piliers, afin qu’il ne pût tomber ; mais dédaigna de se mêler de la construction de ces deux brutes, il les abandonna au caprice de la nature, laquelle, ne craignant pas la perte de si peu de chose, ne les appuya que sur deux pattes. Les oiseaux mêmes, disaient-ils, n’ont pas été si maltraités qu’elles, car au moins ils ont reçu des plumes pour subvenir à la faiblesse de leurs pieds, et se jeter en l’air quand nous les éconduirions de chez nous ; au lieu que la nature en ôtant les deux pieds à ces monstres les a mis en état de ne pouvoir échapper à notre justice. Voyez un peu outre cela comme ils ont la tête tournée devers le ciel ! C’est la disette où Dieu les a mis de toutes choses qui les a situés de la sorte, car cette posture suppliante témoigne qu’ils cherchent au ciel pour se plaindre à Celui qui les a créés, et qu’ils lui demandent permission de s’accommoder de nos restes. Mais nous autres nous avons la tête penchée en bas pour contempler les biens dont nous sommes seigneurs, et comme n’y ayant rien au ciel à qui notre heureuse condition puisse porter envie. J’entendais tous les jours, à ma loge, les prêtres faire ces contes-là ou de semblables ; enfin ils bridèrent si bien la conscience des peuples sur cet article qu’il fut arrêté que je ne passerais tout au plus que pour un perroquet plumé ; ils confirmaient les persuadés sur ce que non plus qu’un oiseau je n’avais que deux pieds. On me mit donc en cage par ordre exprès du Conseil d’en haut. […]



Travail d’adaptation (réduction de l’étude à 10 minutes), prise en compte de la question

 

INTRODUCTION :

TB, parfaite.

Exposé clair, articulé (on sait que tu en es au II. B, par exemple)

 

 Parfait !

Qualité des remarques (aucune erreur, incompréhension…)

 

 Bravo ! Tu pourrais faire un petit bilan des remarques à la fin de ton premier axe.

 

Juste une petite erreur : « une critique DE », pas « à ». Mais c’est minime !

Aisance à l’oral (pas trop d’hésitations, force de conviction)

 

TB.

Elocution (articulation, volume…)

 

C’est excellent, très bon accent en plus ! Et c’est très dynamique. Et quel niveau d’expression française !!!

Expression corporelle (ni trop statique, ni trop expressif, intensité du regard)

 

TB.

Au bac, tu obtiendrais probablement 10/10 avec cette prestation. C’est brillant et très, très maîtrisé. 



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Texte 3 : Aimé Césaire

Aimé Césaire (1913-2008), Discours sur le colonialisme, 1950

[...] Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viêt Nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.

Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.

On s’étonne, on s’indigne. On dit : « Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C’est le nazisme, ça passera ! » Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme-là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. [...]

Question : Césaire essaie-t-il de nous convaincre ou de nous persuader, dans ce texte ?

Travail d’adaptation (réduction de l’étude à 10 minutes), prise en compte de la question

 

INTRODUCTION

Excellente !

 

10’30 : très bon travail d’adaptation, eu égard à la question posée.

Exposé clair, articulé (on sait que tu en es au II. B, par exemple)

 

    Parfait.

Qualité des remarques (aucune erreur, incompréhension…)

 

Tout ce que tu dis est très intéressant, et très maîtrisé.

 

Aisance à l’oral (pas trop d’hésitations, force de conviction)

 

Parfait. Et tu t’exprimes parfaitement, avec précision, richesse et spontanéité.

Elocution (articulation, volume…)

 

Parfaite.

Expression corporelle (ni trop statique, ni trop expressif, intensité du regard)

 

Très bien.

Eh bien voilà, tu es prête ! (Pour ce texte, du moins !). 20/20. Tu aurais probablement 9 ou 10/10 au bac. 

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