Corrigé : corpus de poèmes provocateurs

Les poèmes du corpus sont provocateurs à plus d’un titre.

En effet, la forme poétique est usuellement utilisée pour aborder les thèmes de l’amour, de la vie, de la mort. Or le choix des objets qui sont évoqués n’ont rien en commun avec ces thèmes lyriques. Hugo a choisi « l’araignée », Lautréamont « le poux », Corbière « le crapaud » et Nouveau « le peigne ». Les trois premiers auteurs ont choisi un objet qui suscite usuellement le dégoût, Nouveau quand à lui consacre un poème à un objet trivial, banal, le peigne.

Non seulement les objets sortent des thématiques abordées usuellement en poésie, mais en plus les auteurs les célèbrent. Ce sont des éloges paradoxaux : Hugo « aime » l’araignée, pour Nouveau, le peigne est « un grand seigneur », Lautréamont utilise le modalisateur « malheureusement » dans l’expression « malheureusement ils sont si petits », et enfin Corbière se confond lui même avec le crapaud « ce crapaud-là c’est moi ».

Enfin, les poèmes sont provocateurs dans leur forme même : "le Crapaud" est un sonnet inversé (deux tercets suivis de deux quatrains, et non l'inverse comme il se doit). De plus, son poème semble déstructuré : multiplication de phrases très courtes, répétitions ("Horreur"), ponctuation expressive, et un vers entier constitué de points. Lautréamont écrit un poème en prose, ce qui était tout à fait nouveau pour l'époque


Autre réponse valable, et plus complète, trouvée sur Internet : 


Eléments pour la réponse à la question de corpus :

Ces quatre textes ont pour point commun la réhabilitation d'animaux (l'araignée, le pou, le crapaud), de végétaux (l'ortie), objets de dégoût, généralement craints ou méprisés et d'un objet trivial : le peigne. Les auteurs les défendent ou les exaltent dans l'intention manifeste de provoquer le lecteur.

Dans "J'aime l'araignée", extrait du recueil Les Contemplations, Victor Hugo, prend le contrepied de l'opinion commune qui méprise les araignées et qui craint les orties.

Victor Hugo se plaît à braver le "bon sens".  Il n'adopte pas un point de vue éthologique. Il ne dit pas qu'il aime les araignées et les orties parce qu'elles sont utiles, mais parce que la plupart des gens les haïssent ("parce qu'on les hait").

L'intérêt de Victor Hugo pour les araignées et les orties vient de sa compassion à l'égard de tous les êtres vivants. L'araignée et l'ortie sont des créatures d'un Dieu d'amour et, à ce titre, elles aspirent à aimer et à être aimées : "la mauvaise herbe et la mauvaise bête/Murmurent : Amour !"

La vision commune du monde repose sur des oppositions binaires : le bien et le mal, le beau et le laid, ce qui est aimable et ce qui est méprisable.

La provocation de Victor Hugo consiste à "déconstruire" cette vision manichéenne (ou pharisienne)  : tous les êtres vivants sont dignes d'être aimés, y compris les plus laids et les plus repoussants.

Contrairement à Victor Hugo qui ne s'identifie ni aux orties, ni aux araignées, Tristan Corbière s'assimile au crapaud, "rossignol de la boue", "poète tondu, sans aile" :  "Bonsoir - ce crapaud-là c'est moi."

Lautréamont, dans le texte extrait des Chants de Maldoror ne se contente pas de défendre le pou, il exalte avec une jubilation cruelle sa méchanceté supposée, spécialement à l'égard de l'espèce humaine. Si le pouvoir des poux était aussi grand que leur imagination et leurs désirs, affirme Lautréamont, ils ne se contenteraient pas d'aspirer le sang des humains, ils dévoreraient leur peau et leurs os. Lautréamont va plus loin dans la provocation que Hugo en prenant à parti le lecteur pour exalter le pou dont il fait un animal diabolique, doué de pouvoirs surnaturels.

Lautréamont s'identifie au pou et lui prête sa propre méchanceté rhétorique, provocatrice ou réelle à l'égard de l'humanité. Il n'est pas du tout question d'amour dans ce texte, comme dans "J'aime l'aragnée", ni d'une identification à un animal laid mais inoffensif que l'on prend vaguement en pitié, comme dans "Le Crapaud" de Tristan Corbière, mais de délectation dans la cruauté.

Contrairement à Hugo, à Corbière et à Lautréamont qui reconnaissent, voire exaltent la laideur de l'objet qu'ils évoquent : l'araignée, l'ortie ou le pou, Germain Nouveau, dans "Le Peigne" fait l'apologie d'un objet trivial ("sale comme un peigne") en le qualifiant de "grand seigneur".

Nous avons donc affaire à des visions très différentes du monde et de la poésie : une vision "évangélique" : celle de Hugo, pour qui la création tout entière aspire à la rédemption et à l'amour, la vision "luciférienne" de Lautréamont, teintée d'humour noir, une vision purement humaine, d'un homme qui se prétend disgracié, aussi bien physiquement que sur le plan de l'inspiration poétique et qui complaît dans un rôle de crapaud au sein de la société et de la littérature et enfin, avec Germain Nouveau, une vision satirique qui tourne en dérision une certaine idée de la poésie : sa noblesse et sa grandeur supposée, aussi bien par le sujet choisi que par la manière de le traiter.

Provocateurs en raison de leur sujet, les quatre poèmes le sont aussi dans leur forme même : "Le Crapaud" est un sonnet inversé (deux tercets suivis de deux quatrains) et destructuré : multiplication de phrases courtes, répétitions ("horreur"), ponctuation expressive et un vers entier constitué de points. Le poème de Lautréamont est un poème en prose, plus rhétorique que poétique, au sens traditionnel du terme, celui de Victor Hugo est bâti (comme la création ?) sur un rythme "bancal" (10/5) et celui de Germain Nouveau, avec ses douze strophes en octosyllabes semblables, par leur ennuyeuse régularité, aux dents d'un peigne, se distingue surtout par son emphase ridicule, son défi au "bon goût" et son prosaïsme.

Le texte le plus provocateur est peut-être celui Tristan Corbière qui ne se contente pas de réhabiliter ou d'exalter la laideur dans la nature, mais qui entend également l'introduire dans l'écriture littéraire.

Ainsi, à propos de la célèbre définition de Kant dans la Critique du Jugement : "L'art n'est pas la représentation d'une belle chose, mais la belle représentation d'une chose" ("Il n'est pas de serpent ni de monstre odieux/Qui par l'art imité ne puisse plaire aux yeux", affirmait de son côté Nicolas Boileau), faudrait-il faire remarquer que dans la poésie moderne (et dans l'art contemporain en général), la création se sépare de plus en plus de l'imitation et tend à brouiller les notions mêmes de beauté et de laideur.

 

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