Exercices de style (1947) est un brillant exemple d'une contrainte littéraire (écrire 99 fois la même histoire) en tant que moteur créatif et constitue à ce titre un texte précurseur du mouvement Oulipo
dont Raymond Queneau sera l'un des fondateurs. La présence d'une
deuxième contrainte (chaque version de l'histoire doit illustrer un
genre stylistique bien particulier) apparaît à la lecture des titres des
99 versions de l'histoire :
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Notations
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Dans l'S, à une heure d'affluence. Un type dans les vingt-six ans, chapeau
mou avec cordon remplaçant le ruban, cou trop long comme si on lui avait
tiré dessus. Les gens descendent. Le type en question s'irrite contre
un voisin. Il lui reproche de le bousculer chaque fois qu'il passe quelqu'un.
Ton pleurnichard qui se veut méchant. Comme il voit une place libre, se
précipite dessus.
Deux heures plus tard, je le rencontre cour de Rome, devant la gare
Saint- Lazare. Il est avec un camarade qui lui dit : « tu devrais faire
mettre un bouton supplémentaire à ton pardessus.» il lui montre où (à
l'échancrure) et pourquoi.
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En partie double
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Vers le milieu de la journée et à midi, je me trouvai et montai sur la
plate-forme et la terrasse arrière d'un autobus et d'un véhicule des transports
en commun bondé et quasiment complet de la ligne S et qui va de la Contrescarpe
à Champerret. Je vis et remarquai un jeune homme et un vieil adolescent
assez ridicule et pas mal grotesque : cou maigre et tuyau décharné, ficelle
et cordelière autour du chapeau et couvre-chef. Après une bousculade et
confusion, il dit et profère d'une voix et d'un ton larmoyants et pleurnichards
que son voisin et covoyageur fait exprès et s'efforce de le pousser et
de l'importuner chaque fois qu'on descend et sort. Ceci déclaré et après
avoir ouvert la bouche, il se précipite et se dirige vers une place et
un siège vides et libres.
Deux heures après et cent vingt minutes plus tard, je le rencontre et
le revois cour de Rome et devant la gare Saint-Lazare. Il est et se trouve
avec un ami et copain qui lui conseille de et l'incite à faire ajouter
et coudre un bouton et un rond de corozo à son pardessus et manteau.
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Litotes
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Nous étions quelques-uns à nous déplacer de conserve. Un jeune homme,
qui n'avait pas l'air très intelligent, parla quelques instants avec un
monsieur qui se trouvait à côté de lui, puis il alla s'asseoir. Deux heures
plus tard, je le rencontrai de nouveau ; il était en compagnie d'un camarade
et parlait chiffons.
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Métaphoriquement
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Au centre du jour, jeté dans le tas des sardines voyageuses d'un coléoptère
à grosse carapace blanche, un poulet au grand cou déplumé harangua soudain
l'une, paisible, d'entre elles et son langage se déploya dans les airs,
humide d'une protestation. Puis attiré par un vide, l'oisillon s'y précipita.
Dans un morne désert urbain, je le revis le jour même se faisant moucher
l'arrogance pour un quelconque bouton.
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Rétrograde
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Tu devrais ajouter un bouton à ton pardessus, lui dit son ami. Je le
rencontrai au milieu de la cour de Rome, après l'avoir quitté se précipitant
avec avidité vers une place assise. Il venait de protester contre la poussée
d'un autre voyageur, qui, disait-il, le bousculait chaque fois qu'il descendait
quelqu'un. Ce jeune homme décharné était porteur d'un chapeau ridicule.
Cela se passa sur la plate-forme d'un S complet ce midi-là.
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Surprises
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Ce que nous étions serrés sur cette plate-forme d'autobus ! Et ce que
ce garçon pouvait avoir l'air bête et ridicule ! Et que fait-il ? Ne le
voilà-t-il pas qui se met à vouloir se quereller avec un bonhomme qui
- prétendait-il ! ce damoiseau ! - le bousculait ! Et ensuite il ne trouve
rien de mieux à faire que d'aller vite occuper une place laissée libre
! Au lieu de la laisser à une dame !
Deux heures après, devinez qui je rencontre devant la gare
Saint-Lazare ? Le même godelureau ! En train de se faire donner des
conseils vestimentaires
! Par un camarade !
À ne pas croire !
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Rêve
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Il me semblait que tout füt brumeux et nacré autour de moi, avec des
présences multiples et indistinctes, parmi lesquelles cependant se dessinait
assez nettement la seule figure d'un homme jeune dont le cou trop long
semblait annoncer déjà par lui-même le caractère à la fois lâche et rouspéteur
du personnage. Le ruban de son chapeau était remplacé par une ficelle
tressée. Il se disputait ensuite avec un individu que je ne voyais pas,
puis, comme pris de peur, il se jetait dans l'ombre d'un couloir.
Une autre partie du rêve me le montre marchant en plein soleil devant
la gare Saint-Lazare. Il est avec un compagnon qui lui dit : «tu devrais
faire ajouter un bouton à ton pardessus.»
Là-dessus, je m'éveillai.
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Pronostication
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Lorsque viendra midi, tu te trouveras sur la plate-forme arrière d'un
autobus où s'entasseront des voyageurs parmi lesquels tu remarqueras un
ridicule jouvenceau : cou squelettique et point de ruban au feutre mou.
Il ne se trouvera pas bien, ce petit. Il pensera qu'un monsieur le pousse
exprès, chaque fois qu'il passe des gens qui montent ou descendent. Il
le lui dira, mais l'autre ne répondra pas, méprisant. Et le ridicule jouvenceau,
pris de panique, lui filera sous le nez, vers une place libre.
Tu le reverras un peu plus tard, cour de Rome, devant la gare Saint-Lazare.
Un ami l'accompagnera, et tu entendras ces paroles : «ton pardessus ne
croise pas bien ; il faut que tu y fasses ajouter un bouton.»
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Synchyses
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Ridicule jeune homme, que je me trouvai un jour sur un autobus de la
ligne S bondé par traction peut-être cou allongé, au chapeau la cordelière,
je remarquai un. Arrogant et larmoyant d'un ton, qui se trouve à côté
de lui, contre ce monsieur, proteste-t-il. Car il le pousserait, fois
chaque que des gens il descend. Libre il s'assoit et se précipite vers
une place, ceci dit. Rome (Cour de) je le rencontre plus tard deux heures
à son pardessus un bouton d'ajouter un ami lui conseille.
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L'arc-en-ciel
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Un jour, je me trouvai sur la plate-forme d'un autobus violet. Il y avait
là un jeune homme assez ridicule : cou indigo, cordelière au chapeau.
Tout d'un coup, il proteste contre un monsieur bleu. Il lui reproche notamment,
d'une voix verte, de le bousculer chaque fois qu'il descend des gens.
Ceci dit, il se précipite, vers une place jaune, pour s'y asseoir.
Deux heures plus tard, je le rencontre devant une gare orangée. Il est
avec un ami qui lui conseille de faire ajouter un bouton à son pardessus
rouge.
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Logo-rallye
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(Dot, baïonnette, ennemi, chapelle, atmosphère, Bastille, correspondance.)
Un jour, je me trouvai sur la plate-forme d'un autobus qui devait sans
doute faire partie de la dot de la fille de M. Mariage, qui présida aux
destinées de la T. C. R. P. Il y avait là un jeune homme assez ridicule,
non parce qu'il ne portait pas de baïonnette, mais parce qu'il avait l'air
d'en porter une tout en n'en portant pas. Tout d'un coup ce jeune homme
s'attaque à son ennemi : un monsieur placé derrière lui. Il l'accuse notamment
de ne pas se comporter aussi poliment que dans une chapelle. Ayant ainsi
tendu l'atmosphère, le foutriquet va s'asseoir.
Deux heures plus tard, je le rencontre à deux ou trois kilomètres de
la bastille avec un camarade qui lui conseillait de faire ajouter un bouton
à son pardessus, avis qu'il aurait très bien pu lui donner par correspondance.
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Hésitations
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Je ne sais pas très bien où ça se passait… dans une église, une
poubelle,
un charnier ? Un autobus peut-être ? Il y avait là… mais qu'est-ce
qu'il
y avait donc là ? Des œufs, des tapis, des radis ? Des squelettes ?
Oui,
mais avec encore leur chair autour, et vivants. Je crois bien que
c'est
ça. Des gens dans un autobus. Mais il y en avait un (ou deux ?) qui se
faisait remarquer, je ne sais plus très bien par quoi. Par sa
mégalomanie ? Par son adiposité ? Par sa mélancolie ? Mieux… plus
exactement… par
sa jeunesse ornée d'un long… nez ? menton ? pouce ? non : cou, et d'un
chapeau étrange, étrange, étrange. Il se prit de querelle, oui c'est
ça,
avec sans doute un autre voyageur (homme ou femme ? enfant ou
vieillard ?) Cela se termina, cela finit bien par se terminer d'une
façon quelconque,
probablement par la fuite de l'un des deux adversaires.
Je crois bien que c'est le même personnage que je rencontrai, mais où ?
Devant une église ? devant un charnier ? devant une poubelle ? Avec un camarade
qui devait lui parler de quelque chose, mais de quoi ? de quoi ? de quoi ?
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Précisions
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Dans un autobus de la ligne S, long de 10 mètres, large de 2,1, haut
de 3,5, à 3 km. 600 de son point de départ, alors qu'il était chargé de
48 personnes, à 12 h. 17, un individu de sexe masculin, âgé de 27 ans
3 mois 8 jours, taille de 1 m 72 et pesant 65 kg et portant sur la tête
un chapeau haut de 17 centimètres dont la calotte était entourée d'un
ruban long de 35 centimètres, interpelle un homme âgé de 48 ans 4 mois
3 jours et de taille 1 m 68 et pesant 77 kg., au moyen de 14 mots dont
l'énonciation dura 5 secondes et qui faisaient allusion à des déplacements
involontaires de 15 à 20 millimètres. Il va ensuite s'asseoir à quelque
2 m. 10 de là.
118 minutes plus tard il se trouvait à 10 mètres de la gare Saint-Lazare,
entrée banlieue, et se promenait de long en large sur un trajet de 30
mètres avec un camarade âgé de 28 ans,taille 1 m. 70 et pesant 71 kg.
qui lui conseilla en 15 mots de déplacer de 5 centimètres, dans la direction
du zénith, un bouton de 3 centimètres de diamètre.
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Le côté subjectif
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Je n'étais pas mécontent de ma vêture, ce jourd'hui. J'inaugurai un nouveau
chapeau, assez coquin, et un pardessus dont je pensai grand bien. Rencontré
X devant la gare Saint-Lazare qui essaye de gâcher mon plaisir en essayant
de me démontrer que ce pardessus est trop échancré et que j'y devrais
rajouter un bouton supplémentaire. Il n'a tout de même pas osé s'attaquer
à mon couvre-chef.
Un peu auparavant, rembarré de belle façon une sorte de goujat qui faisait
exprès de me brutaliser chaque fois qu'il passait du monde, à la descente
ou à la montée. Cela se passait dans un de ces immondes autobi qui s'emplissent
de populus précisément aux heures où je dois consentir à les utiliser.
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Autre subjectivité
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Il y avait aujourd'hui dans l'autobus à côté de moi, sur la plate-forme,
un de ces morveux comme on n'en fait guère, heureusement, sans ça je finirais
par en tuer un. Celui-là, un gamin dans les vingt-six, trente ans, m'irritait
tout spécialement non pas tant à cause de son grand cou de dindon déplumé
que par la nature du ruban de son chapeau, ruban réduit à une sorte de
ficelle de teinte aubergine. Ah ! le salaud ! Ce qu'il me dégoütait !
comme il y avait beaucoup de monde dans notre autobus à cette heure-là,
je profitais des bousculades qui ont lieu à la montée ou à la descente
pour lui enfoncer mon coude entre les côtelettes. Il finit par s'esbigner
lâchement avant que je me décide à lui marcher un peu sur les arpions
pour lui faire les pieds. Je lui aurais dit aussi, afin de le vexer, qu'il
manquait un bouton à son pardessus trop échancré.
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Récit
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Un jour vers midi du côté du parc Monceau, sur la plate-forme arrière
d'un autobus à peu près complet de la ligne S (aujourd'hui 84), j'aperçus
un personnage au cou fort long qui portait un feutre mou entouré d'un
galon tressé au lieu de ruban. Cet individu interpella tout à coup son
voisin en prétendant que celui-ci faisait exprès de lui marcher sur les
pieds chaque fois qu'il montait ou descendait des voyageurs. Il abandonna
d'ailleurs rapidement la discussion pour se jeter sur une place devenue
libre.
Deux heures plus tard, je le revis devant la gare Saint-Lazare en grande
conversation avec un ami qui lui conseillait de diminuer l'échancrure
de son pardessus en en faisant remonter le bouton supérieur par quelque
tailleur compétent.
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Composition de mots
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Je plate-d'autobus-formais co-foultitudinairement dans un espace-temps
lutécio-méridiennal et voisinais avec un longicol tresseautourduchapeauté
morveux. Lequel dit à un quelconquanonyme : « Vous me bousculapparaissez.
» Cela éjaculé, se placelibra voracement. Dans une spatiotemporalité postérieure,
je le revis qui placesaintlazarait avec un X qui lui disait : tu devrais
boutonsupplémenter ton pardessus. Et il pourquexpliquait la chose.
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Négativités
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Ce n'était ni un bateau, ni un avion, mais un moyen de transports terrestre.
Ce n'était ni le matin, ni le soir, mais midi. Ce n'était ni un bébé,
ni un vieillard, mais un homme jeune. Ce n'était ni un ruban, ni une ficelle,
mais du galon tressé. Ce n'était ni une procession, ni une bagarre, mais
une bousculade. Ce n'était ni un aimable, ni un méchant, mais un rageur.
Ce n'était ni une vérité, ni un mensonge, mais un prétexte. Ce n'était
ni un debout, ni un gisant, mais un voulant-être assis.
Ce n'était ni la veille, ni le lendemain, mais le jour même. Ce n'était
ni la gare du nord, ni la gare du p.-l.-m. mais la gare Saint-Lazare.
ce n'était ni un parent, ni un inconnu, mais un ami. Ce n'était ni une
injure, ni une moquerie, mais un conseil vestimentaire.
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Animisme
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Un chapeau mou, brun, fendu, les bords baissés, la forme entourée d'une
tresse de galon, un chapeau se tenait parmi les autres, tressautant seulement
des inégalités du sol transmises par les roues du véhicule automobile
qui le transportait, lui le chapeau. À chaque arrêt, les allées
et venues des voyageurs lui donnaient des mouvements latéraux parfois
assez prononcés, ce qui finit par le fâcher, lui le chapeau. Il exprima
son ire par l'intermédiaire d'une voix humaine à lui rattachée par une
masse de chair structuralement disposée autour d'une quasi-sphère osseuse
perforée de quelques trous qui se trouvait sous lui, lui le chapeau. Puis
il alla soudain s'asseoir, lui le chapeau.
Une ou deux heures plus tard je le revis se déplaçant à quelque un mètre
soixante-six au-dessus du sol et de long en large devant la gare Saint-Lazare,
lui le chapeau. Un ami lui conseillait de faire ajouter un bouton supplémentaire
à son pardessus… un bouton supplémentaire… à son pardessus… lui dire ça…
à lui… lui le chapeau…
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Distinguo
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Dans un autobus (qu'il ne faut pas prendre pour un autre obus), je vis
(et pas avec mon vit) un personnage (qui ne perd son âge) coiffé d'un
feutre mou bleu (et non de foutre blême), feutre cerné d'un fil tressé
(et non de tril fessé). Il disposait (et non dix posait) d'un long cou
(et pas d'un loup con). Comme la foule se bousculait (non que la boule
se fousculât), un nouveau voyageur (non veau nouillageur) déplaça le susdit
(et non suça ledit plat). Cestuy râla (et non cette huître hala), mais
voyant une place libre (et non ployant une vache ivre) s'y précipita (et
non si près s'y piqua).
Plus tard je l'aperçus (non pas gel à peine su) devant la gare Saint-Lazare
(et non là ou l'hagard ceint le hasard) qui parlait avec un copain (il
n'écopait pas d'un pralin) au sujet d'un bouton de son manteau (qu'il
ne faut pas confondre avec le bout haut de son menton).
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Homéotéleutes
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Un jour de canicule sur un véhicule où je circule, gesticule un funambule
au bulbe minuscule, à la mandibule en virgule et au capitule ridicule.
Un somnambule l'accule et l'annule, l'autre articule : « crapule »,
mais dissimule ses scrupules, recule, capitule et va poser ailleurs son
cul.
Une hule aprule, devant la gule Saint-Lazule je l'aperçule qui discule
à propos de boutules, de boutules de pardessule.
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Lettre officielle
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J'ai l'honneur de vous informer des faits suivants dont j'ai pu être
le témoin aussi impartial qu'horrifié.
Ce jour même, aux environs de midi, je me trouvais sur la plate-forme
d'un autobus qui remontait la rue de Courcelles en direction de la place
Champerret. Ledit autobus était complet, plus que complet même, oserai-je
dire, car le receveur avait pris en surcharge plusieurs impétrants, sans
raison valable et mü par une bonté d'âme exagérée qui le faisait passer
outre aux règlements et qui, par suite, frisait l'indulgence. à chaque
arrêt, les allées et venues des voyageurs descendants et montants ne manquaient
pas de provoquer une certaine bousculade qui incita l'un de ces voyageurs
à protester, mais non sans timidité. Je dois dire qu'il alla s'asseoir
dès que la chose fut possible.
J'ajouterai à ce bref récit cet addendum : j'eus l'occasion d'apercevoir
ce voyageur quelque temps après en compagnie d'un personnage que je n'ai
pu identifier. La conversation qu'ils échangeaient avec animation semblait
avoir trait à des questions de nature esthétique.
Étant données ces conditions, je vous prie de vouloir bien, monsieur,
m'indiquer les conséquences que je dois tirer de ces faits et l'attitude
qu'ensuite il vous semblera bon que je prenne dans la conduite de ma vie
subséquente.
Dans l'attente de votre réponse, je vous assure, monsieur, de ma parfaite
considération empressée au moins.
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Prière d'insérer
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Dans son nouveau roman, traité avec le brio qui lui est propre, le célèbre
romancier X, à qui nous devons déjà tant de chefs-d'oeuvre, s'est appliqué
à ne mettre en scène que des personnages bien dessinés et agissant dans
une atmosphère compréhensible par tous, grands et petits. L'intrigue tourne
donc autour de la rencontre dans un autobus du héros de cette histoire
et d'un personnage assez énigmatique qui se querelle avec le premier venu.
Dans l'épisode final, on voit ce mystérieux individu écoutant avec la
plus grande attention les conseils d'un ami, maître ès dandysme. Le tout
donne une impression charmante que le romancier X a burinée avec un rare
bonheur.
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Onomatopées
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Sur la plate-forme, pla pla pla, dun autobus, teuff teuff teuff, de la
ligne S (pour qui sont ces serpents qui sifflent sur), il était environ
midi, ding din don, ding din don, un ridicule éphèbe, proüt proüt, qui
avait un de ces couvre- chefs, phui, se tourna (virevolte, virevolte)
soudain vers son voisin d'un air de colère, rreuh, rreuh, et lui dit,
hm hm : «vous faites exprès de me bousculer, monsieur.» Et toc. Là-dessus,
vroutt, il se jette sur une place libre et s'y assoit, boum.
Ce même jour, un peu plus tard, ding din don, ding din don, je le revis
en compagnie d'un autre éphèbe, proüt proüt, qui lui causait bouton de
pardessus (brr, brr, brr, il ne faisait donc pas si chaud que ça…).
Et toc.
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Joual
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L'aut'jour, à midi, ousqu'y fesait bin beau, j'ai pogné
l'étobus « S » qui était tellement plein d'monde
qu'on était tout'une gang pognés sa platforme derrière.
Là, y'avait un estie de tarlet qui avait l'air bin niaiseux avec
un grand cou pis son chapeau avec une drôle de tresse dessus, surtout
quand qu'y chiâlait après le grelot devant lui qui lui pilait
sur les pieds à tout bout d'champ quand qu'yavait du monde qui
embarquait ou bedon qui débarquait. Pis, quand qu'y a une bonne
femme qui s'est levée d'son banc, y s'est garroché dessus.
Deux heures après, j'ai r'vu l'estie de tarlet devant la gare,
avec un autre pas plus fin qui y disait de r'monter le bouton de son capot
pour qu'y ferme mieux.
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Analyse logique
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Autobus.
Plate-forme.
Plate-forme d'autobus. C'est le lieu.
Midi.
Environ.
Environ midi. C'est le temps.
Voyageurs.
Querelle.
Une querelle de voyageurs. C'est l'action.
Homme jeune.
Chapeau. Long cou maigre.
Un jeune homme avec un chapeau et un galon tressé autour. C'est le personnage
principal.
Quidam.
Un quidam.
Un quidam. C'est le personnage second.
Moi.
Moi.
Moi. C'est le tiers personnage, narrateur.
Mots.
Mots.
Mots. C'est ce qui fut dit.
Place libre.
Place occupée.
Une place libre ensuite occupée. C'est le résultat.
La gare Saint-Lazare.
Une heure plus tard.
Un ami.
Un bouton.
Autre phrase entendue. C'est la conclusion.
Conclusion logique.
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Insistance
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Un jour, vers midi, je montai dans un autobus presque complet de la ligne
s. Dans un autobus presque complet de la ligne S, il y avait un jeune
homme assez ridicule. Je montais dans le même autobus que lui, et ce jeune
homme, monté avant moi dans ce même autobus de la ligne S, presque complet,
vers midi, portait sur la tête un chapeau que je trouvai bien ridicule,
moi qui me trouvais dans le même autobus que lui, sur la ligne S, un jour,
vers midi.
Ce chapeau était entouré d'une sorte de galon tressé comme celui d'une
fourragère, et le jeune homme qui le portait, ce chapeau - et ce galon
- se trouvait dans le même autobus que moi, un autobus presque complet
parce qu'il était midi ; et sous ce chapeau, dont le galon imitait une
fourragère, s'allongeait un visage suivi d'un long cou, d'un long, long
cou. Ah ! qu'il était long le cou de ce jeune homme qui portait un chapeau
entouré d'une fourragère, sur un autobus de la ligne S, un jour vers midi.
La bousculade était grande dans l'autobus qui nous transportait vers
le terminus de la ligne S, un jour vers midi, moi et ce jeune homme qui
plaçait un long cou sous un chapeau ridicule. Des heurts qui se produisaient
résulta soudain une protestation, protestation qui émana de ce jeune homme
qui avait un si long cou sur la plate-forme d'un autobus de la ligne S,
un jour vers midi.
Il y eut une accusation formulée d'une voix mouillée de dignité blessée,
parce que sur la plate-forme d'un autobus S, un jeune homme avait un chapeau
muni d'une fourragère tout autour, et un long cou ; il y eut aussi une
place vide tout à coup dans cet autobus de la ligne S presque complet
parce qu'il était midi, place qu'occupa bientôt le jeune homme au long
cou et au chapeau ridicule, place qu'il convoitait parce qu'il ne voulait
plus se faire bousculer sur cette plate-forme d'autobus, un jour, vers
midi.
Deux heures plus tard, je le revis devant la gare Saint-Lazare, ce jeune
homme que j'avais remarqué sur la plate-forme d'un autobus de la ligne
S, ce jour même, vers midi. Il était avec un compagnon de son acabit qui
lui donnait un conseil relatif à certain bouton de son pardessus. L'autre
l'écoutait attentivement. L'autre, c'est ce jeune homme qui avait une
fourragère autour de son chapeau, et que je vis sur la plate-forme d'un
autobus de la ligne S, presque complet, un jour, vers midi.
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Ignorance
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Moi, je ne sais pas ce qu'on me veut. Oui, j'ai pris l'S vers midi. Il
y avait du monde ? Bien sür, à cette heure-là. Un jeune homme avec un
chapeau mou ? C'est bien possible. Moi, je n'examine pas les gens sous
le nez. Je m'en fous. Une espèce de galon tressé ? Autour du chapeau ?
Je veux bien que ça soit une curiosité, mais moi, ça ne me frappe pas
autrement. Un galon tressé… Il s'aurait querellé avec un autre monsieur ? C'est des choses qu'arrivent.
Et ensuite je l'aurais de nouveau revu une heure ou deux plus tard ?
Pourquoi pas ? Il y a des choses encore plus curieuses dans la vie. Ainsi,
je me souviens que mon père me racontait souvent que…
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Passé indéfini
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Je suis monté dans l'autobus de la porte Champerret. Il y avait beaucoup
de monde, des jeunes, des vieux, des femmes, des militaires. J'ai payé
ma place et puis j'ai regardé autour de moi. Ce n'était pas très intéressant.
J'ai quand même fini par remarquer un jeune homme dont j'ai trouvé le
cou trop long. J'ai examiné son chapeau et je me suis aperçu qu'au lieu
d'un ruban il y avait un galon tressé. Chaque fois qu'un nouveau voyageur
montait, ça faisait de la bousculade. Je n'ai rien dit, mais le jeune
homme au long cou a tout de même interpellé son voisin. Je n'ai pas entendu
ce qu'il lui a dit, mais ils se sont regardés d'un sale oeil. Alors, le
jeune homme au long cou est allé s'asseoir précipitamment.
En revenant de la porte Champerret, je suis passé devant la gare Saint-Lazare.
J'ai vu mon type qui discutait avec un copain. Celui-ci a désigné du doigt
un bouton juste au-dessus de l'échancrure du pardessus. Puis l'autobus
m'a emmené et je ne les ai plus vus. J'étais assis et je n'ai pensé à
rien.
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Présent
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À midi, la chaleur s'étale autour des pieds des voyageurs d'autobus.
Que, placée sur un long cou, une tête stupide ornée d'un chapeau grotesque
vienne à s'enflammer, aussitôt pète la querelle. Pour foirer bien vite
d'ailleurs, en une atmosphère lourde pour porter encore trop vivantes
de bouche à oreille des injures définitives. Alors, on va s'asseoir à
l'intérieur, au frais.
Plus tard peuvent se poser, devant des gares aux cours doubles, des
questions vestimentaires, à propos de quelque bouton que des doigts gras
de sueur tripotent avec assurance.
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Passé simple
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Ce fut midi. Les voyageurs montèrent dans l'autobus. On fut serré. Un
jeune monsieur porta sur sa tête un chapeau entouré d'une tresse, non
d'un ruban. Il eut un long cou. Il se plaignit auprès de son voisin des
bousculades que celui- ci lui infligea. Dès qu'il aperçut une place libre,
il se précipita vers elle et s'y assit.
Je l'aperçus plus tard devant la gare Saint-Lazare. Il se vêtit d'un
pardessus et un camarade qui se trouva là lui fit cette remarque : il
fallut mettre un bouton supplémentaire.
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|
Imparfait
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C'était midi. Les voyageurs montaient dans l'autobus. On était serré.
Un jeune monsieur portait sur sa tête un chapeau qui était entouré d'une
tresse et non d'un ruban. Il avait un long cou. Il se plaignait auprès
de son voisin des bousculades que ce dernier lui infligeait. Dès qu'il
apercevait une place libre, il se précipitait vers elle et s'y asseyait.
Je l'apercevais plus tard, devant la gare Saint-Lazare. Il se vêtait
d'un pardessus et un camarade qui se trouvait là lui faisait cette remarque
: il fallait mettre un bouton supplémentaire.
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|
Alexandrins
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Un jour dans l'autobus qui porte la lettre S
Je vis un foutriquet de je ne sais quelle es-
Pèce qui râlait bien qu'autour de son turban
Il y eüt de la tresse en place de ruban.
Il râlait ce jeune homme à l'allure insipide,
Au col démesuré, à l'haleine putride,
Parce qu'un citoyen qui paraissait majeur
Le heurtait, disait-il, si quelque voyageur
Se hissait haletant et poursuivi par l'heure
Espérant déjeuner en sa chaste demeure.
Il n'y eut point d'esclandre et le triste quidam
Courut vers une place et s'assit sottement.
Comme je retournais direction rive gauche
De nouveau j'aperçus ce personnage moche
Accompagné d'un zèbre, imbécile dandy,
Qui disait : «ce bouton faut pas le mettre icy.»
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Polyptotes
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Je montai dans un autobus plein de contribuables qui donnaient des sous
à un contribuable qui avait sur son ventre de contribuable une petite
boîte qui contribuait à permettre aux autres contribuables de continuer
leur trajet de contribuables. Je remarquai dans cet autobus un contribuable
au long cou de contribuable et dont la tête de contribuable supportait
un chapeau mou de contribuable ceint d'une tresse comme jamais n'en porta
contribuable. Soudain le dit contribuable interpelle un contribuable de
voisin en lui reprochant amèrement de lui marcher exprès sur ses pieds
de contribuable chaque fois que d'autres contribuables montaient ou descendaient
de l'autobus pour contribuables. Puis le contribuable irrité alla s'asseoir
à la place pour contribuable que venait de laisser libre un autre contribuable.
Quelques heures de contribuable plus tard, je l'aperçus dans la cour pour
contribuables de Rome, en compagnie d'un contribuable qui lui donnait
des conseils d'élégance de contribuable.
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Moi je
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Moi je comprends ça : un type qui s'acharne à vous marcher sur les pinglots,
ça vous fout en rogne. Mais après avoir protesté aller s'asseoir comme
un péteux, moi, je comprends pas ça. Moi j'ai vu ça l'autre jour sur la
plate-forme arrière d'un autobus S. Moi je lui trouvais le cou un peu
long à ce jeune homme et aussi bien rigolote cette espèce de tresse qu'il
avait autour de son chapeau. Moi jamais j'oserais me promener avec un
couvre-chef pareil. Mais c'est comme je vous le dis, après avoir gueulé
contre un autre voyageur qui lui marchait sur les pieds, ce type est allé
s'asseoir sans plus. Moi, je lui aurais foutu une baffe à ce salaud qui
m'aurait marché sur les pieds.
Il y a des choses curieuses dans la vie, moi je vous le dis, il n'y
a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. Deux heures plus tard,
moi je rencontre de nouveau ce garçon. Moi, je l'aperçois devant la gare
Saint-Lazare. Moi, je le vois en compagnie d'un copain de sa sorte qui
lui disait, moi je l'ai entendu : «tu devrais remonter ce bouton-là.»
Moi, je l'ai bien vu, il désignait le bouton supérieur.
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Exclamations
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Tiens ! Midi ! temps de prendre l'autobus ! que de monde ! que de monde
! ce qu'on est serré ! marrant ! ce gars-là ! quelle trombine ! et quel
cou ! soixante-quinze centimètres ! au moins ! et le galon ! le galon
! je n'avais pas vu ! le galon ! c'est le plus marant ! ça ! le galon
! autour de son chapeau ! Un galon ! marrant ! absolument marrant ! ça
y est le voilà qui râle ! le type au galon ! contre un voisin ! qu'est-ce
qu'il lui raconte ! l'autre ! lui aurait marché sur les pieds ! ils vont
se fiche des gifles ! pour sür ! mais non ! mais si ! va h y ! va h y
! mords y l'œil ! fonce ! cogne ! mince alors ! mais non ! il se dégonfle
! le type ! au long cou ! au galon ! c'est sur une place vide qu'il fonce
! oui ! le gars ! eh bien ! vrai ! non ! je ne me trompe pas ! c'est bien
lui ! là-bas ! dans la Cour de Rome ! devant la gare Saint-Lazare ! qui
se balade en long et en large ! avec un autre type ! et qu'est-ce que
l'autre lui raconte ! qu'il devrait ajouter un bouton ! oui ! un bouton
à son pardessus ! À son pardessus !
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Alors
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Alors l'autobus est arrivé. Alors j'ai monté dedans. Alors j'ai vu un
citoyen qui m'a saisi l'œil. Alors j'ai vu son long cou et j'ai vu la
tresse qu'il y avait autour de son chapeau. Alors il s'est mis à pester
contre son voisin qui lui marchait alors sur les pieds. Alors, il est
allé s'asseoir.
Alors, plus tard, je l'ai revu Cour de Rome. Alors il était avec un
copain. Alors, il lui disait, le copain : tu devrais faire mettre un autre
bouton à ton pardessus. Alors.
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Ampoulé
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À l'heure où commencent à se gercer les doigts roses de l'aurore, je
montai tel un dard rapide dans un autobus à la puissance stature et aux
yeux de vache de la ligne S au trajet sinueux. Je remarquai, avec la précision
et l'acuité de l'Indien sur le sentier de la guerre, la présence d'un
jeune homme dont le col était plus long que celui de la girafe au pied
rapide, et dont le chapeau de feutre mou fendu s'ornait d'une tresse,
tel le héros d'un exercice de style. La funeste Discorde aux seins de
suie vint de sa bouche empestée par un néant de dentifrice, la Discorde,
dis-je, vint souffler son virus malin entre ce jeune homme au col de girafe
et à la tresse autour du chapeau, et un voyageur à la mine indécise et
farineuse. Celui-là s'adressa en ces termes à celui-ci : «Dites-donc,
vous, on dirait que vous le faites exprès de me marcher sur les pieds
!» Ayant dit ces mots, le jeune homme au col de girafe et à la tresse
autour du chapeau s'alla vite asseoir.
Plus tard, dans la Cour de Rome aux majestueuses proportions, j'aperçus
de nouveau le jeune homme au cou de girafe et à la tresse autour du chapeau,
accompagné d'un camarade arbitre des élégances qui proférait cette critique
que je pus entendre de mon oreille agile, critique adressée au vêtement
le plus extérieur du jeune homme au col de girafe et à la tresse autour
du chapeau : «tu devrais en diminuer l'échancrure par l'addition ou l'exhaussement
d'un bouton à la périphérie circulaire.»
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Vulgaire
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L'était un peu plus dmidi quand j'ai pu monter dans l'esse. Jmonte donc,
jpaye ma place comme de bien entendu et voilàtipas qu'alors jremarque
un zozo l'air pied, avec un cou qu'on aurait dit un télescope et une sorte
de ficelle autour du galurin. Je lregarde passque jlui trouve l'air pied
quand le voilàtipas qu'ismet à interpeller son voisin. Dites-donc, qu'il
lui fait, vous pourriez pas faire attention, qu'il ajoute, on dirait,
qu'il pleurniche, quvous lfaites essprais, qu'i bafouille, deummarcher
toutltemps sullé panards, qu'i dit. Là- dsus, tout fier de lui, i va s'asseoir.
Comme un pied.
Jrepasse plus tard Cour de Rome et jl'aperçois qui discute le bout de
gras avec autre zozo de son espèce. Dis-donc, qu'i lui faisait l'autre,
tu dvrais, qu'i lui disait, mettre un ottbouton, qu'il ajoutait, à ton
pardingue, qu'i concluait.
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Interrogatoire
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— Àquelle heure ce jour-là passa l'autobus de la ligne
S de midi 23, direction porte de Champerret ?
— À midi 38.
— Y avait-il beaucoup de monde dans l'autobus de la ligne S
sus-désigné ?
— Des floppées.
— Qu'y remarquâtes-vous de particulier ?
— Un particulier qui avait un très long cou et une tresse autour
de son chapeau.
— Son comportement était-il aussi singulier que sa mise et son
anatomie ?
— Tout d'abord non ; il était normal, mais il finit par s'avérer
être celui d'un cyclothymique paranoïaque légèrement hypotendu dans un
état d'irritabilité hypergastrique.
— Comment cela se traduisit-il ?
— Le particulier en question interpella son voisin sur un ton
pleurnichard en lui demandant s'il ne faisait pas exprès de lui marcher
sur les pieds chaque fois qu'il montait ou descendait des voyageurs.
— Ce reproche était-il fondé ?
— Je l'ignore.
— Comme se termina cet incident ?
— Par la fuite précipitée du jeune homme qui alla occuper une
place libre.
— Cet incident eut-il un rebondissement ?
— Moins de deux heures plus tard.
— En quoi consista ce rebondissement ?
— En la réapparition de cet individu sur mon chemin.
— Où et comment le revîtes-vous ?
— En passant en autobus devant la cour de Rome.
— Qu'y faisait-il ?
— Il prenait une consultation d'élégance.
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Comédie
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Acte premier
Scène i
(Sur la plate-forme arrière d'un autobus S, un jour, vers midi.)
Le Receveur. — la monnaie, s'iou plaît. (Des voyageurs lui
passent la monnaie.)
Scène ii
(L'autobus s'arrête.)
Le Receveur. — laissons descendre. Priorités ? Une priorité
! C'est complet. Drelin, drelin, drelin.
Acte second
Scène i
(Même décor.)
Premier Voyageur (Jeune, long cou, une tresse autour du chapeau).
— On dirait, monsieur, que vous le faites exprès de me marcher
sur les pieds chaque fois qu'il passe des gens. Second Voyageur (hausse
les épaules)
Scène ii
(Un troisième voyageur descend.)
Premier Voyageur (s'adressant au public) : Chouette ! une
place libre ! J'y cours. (Il se précipite dessus et l'occupe.)
Acte troisième
Scène i
(La Cour de Rome.)
Un Jeune Élégant (au premier voyageur, maintenant piéton).
— l'échancrure de ton pardessus est trop large. Tu devrais la fermer
un peu en faisant remonter le bouton du haut.
Scène ii
(À bord d'un autobus S passant devant la cour de Rome.)
Quatrième Voyageur. — Tiens, le type qui se trouvait tout à
l'heure avec moi dans l'autobus et qui s'engueulait avec un bonhomme.
Curieuse rencontre. J'en ferai une comédie en trois actes et en prose
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Apartés
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L'autobus arriva tout gonflé de voyageurs. Pourvu que je ne le rate pas,
veine il y a encore une place pour moi. L'un d'eux il en a une drôle de
tirelire avec son cou démesuré portait un chapeau de feutre mou entouré
d'une sorte de cordelette à la place de ruban ce que ça a l'air prétentieux
et soudain se mit tiens qu'est-ce qui lui prend à vitupérer un voisin
l'autre fait pas attention à ce qu'il lui raconte auquel il reprochait
de lui marcher exprès a l'air de chercher la bagarre, mais il se dégonflera
sur les pieds. Mais comme une place était libre à l'intérieur qu'est-ce
que je disais il tourna le dos et courut l'occuper.
Deux heures plus tard environ, c'est curieux les coïncidences il se
trouvait cour de Rome en compagnie d'un ami un michet de son espèce qui
lui désignait de l'index un bouton de son pardessus qu'est-ce qu'il peut
bien lui raconter ?
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Parécheèses
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Sur la tribune bustérieure d'un bus qui transhabutait vers un but peu
bucolique des bureaucrates abutis, un burlesque funambule à la buccule
loin de buste et au gibus sans buran, fit brusquement du grabuge contre
un burgrave qui le bousculait: « Butor! y a de l'abus! » S'attribuant
un tabouret, il s'y culbuta tel un obus dans une cambuse.
Bultérieurement, en un conciliabule, il butinait cette stibulation:
« Buse! ce globuleux buton buche mal ton burnous! »
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Fantomatique
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Nous, garde-chasse de la Plaine-Monceau, avons l'honneur de rendre compte
de l'inexplicable et maligne présence dans le voisinage de la porte orientale
du parc de S. A. R. Monseigneur Philippe le sacré duc d'Orléans, ce jour
d'huy seize de mai mille sept cent quatre-vingt-trois, d'un chapeau mou
de forme inhabituelle et entouré d'une sorte de galon tressé. Conséquemment
nous constatâmes l'apparition soudaine sous le dit chapeau d'un homme
jeune, pourvu d'un cou d'une longueur extraordinaire et vêtu comme on
se vêt sans doute à la Chine. L'effroyable aspect de ce quidam nous glaça
les sangs et prévint notre fuite. Ce quidam demeura quelques instants
immobile, puis s'agita en grommelant comme s'il repoussait le voisinage
d'autres quidams invisibles mais à lui sensibles. Soudain son attention
se porta vers son manteau et nous l'entendîmes qui murmurait comme suit
: «il manque un bouton, il manque un bouton». Il se mit alors en route
et prit la direction de la Pépinière. Attiré malgré nous par l'étrangeté
de ce phénomène, nous le suivîmes hors des limites attribuées à notre
juridiction et nous atteignîmes nous trois le quidam et le chapeau un
jardinet désert mais planté de salades. Une plaque bleue d'origine inconnue
mais certainement diabolique portait l'inscription «Cour de Rome». Le
quidam s'agita quelques moments encore en murmurant : «Il a voulu me marcher
sur les pieds.» il disparut alors, lui d'abord et quelque temps après
son chapeau. Après avoir dressé procès-verbal de cette liquidation, j'allai
boire chopine à la Petite- Pologne.
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Philosophique
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Les grandes villes seules peuvent présenter à la spiritualité phénoménologique
les essentialités des coïncidences temporelles et improbabilistes. Le
philosophe qui monte parfois dans l'inexistentialité futile et outilitaire
d'un autobus S y peut apercevoir avec la lucidité de son œil pinéal les
apparences fugitives et décolorées d'une conscience profane affligée du
long cou de la vanité et de la tresse chapeautière de l'ignorance. Cette
matière sans entéléchie véritable se lance parfois dans l'impératif catégorique
de son élan vital et récriminatoire contre l'irréalité néoberkeleyienne
d'un mécanisme corporel inalourdi de conscience. Cette attitude morale
entraîne alors le plus inconscient des deux vers une spatialité vide où
il se décompose en ses éléments premiers et crochus.
La recherche philosophique se poursuit normalement par la rencontre
fortuite mais anagogique du même être accompagné de sa réplique inessentielle
et couturière, laquelle lui conseille nouménalement de transposer sur
le plan de l'entendement le concept de bouton de pardessus situé sociologiquement
trop bas.
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Apostrophe
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Ô stylographe à la plume de platine, que ta course rapide et sans heurt
trace sur le papier au dos satiné les glyphes alphabétiques qui transmettront
aux hommes aux lunettes étincelantes le récit narcissique d'une double
rencontre à la cause autobusilistique. Fier coursier de mes rêves, fidèle
chameau de mes exploits littéraires, svelte fontaine de mots comptés,
pesés et choisis, décris les courbes lexicographiques et syntactiques
qui formeront graphiquement la narration futile et dérisoire des faits
et gestes de ce jeune homme qui prit un jour l'autobus S sans se douter
qu'il deviendrait le héros immortel de mes laborieux travaux d'écrivain.
Freluquet au long cou surplombé d'un chapeau cerné d'un galon tressé,
roquet rageur, rouspéteur et sans courage qui fuyant la bagarre allas
poser ton derrière moissonneur de coups de pieds au cul sur une banquette
en bois durci, soupçonnais-tu cette destinée rhétorique lorsque devant
la gare Saint-Lazare tu écoutais d'une oreille exaltée les conseils de
tailleur d'un personnage qu'inspirait le bouton supérieur de ton pardessus ?
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Maladroit
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Je n'ai pas l'habitude d'écrire. Je ne sais pas. J'aimerais bien écrire
une tragédie ou un sonnet ou une ode, mais il y a les règles. Ça me gêne.
C'est pas fait pour les amateurs. Tout ça c'est déjà bien mal écrit. Enfin.
En tout cas, j'ai vu aujourd'hui quelque chose que je voudrais bien coucher
par écrit. Coucher par écrit ne me paraît pas bien fameux. ça doit être
une de ces expressions toutes faites qui rebutent les lecteurs qui lisent
pour les éditeurs qui recherchent l'originalité qui leur paraît nécessaire
dans les manuscrits que les éditeurs publient lorsqu'ils ont été lus par
les lecteurs que rebutent les expressions toutes faites dans le genre
de « coucher par écrit » qui est pourtant ce que
je voudrais faire de quelque chose que j'ai vu aujourd'hui bien que je
ne sois qu'un amateur que gênent les règles de la tragédie du sonnet ou
de l'ode car je n'ai pas l'habitude d'écrire. Merde, je ne sais pas comment
j'ai fait mais me voilà revenu tout au début. Je ne vais jamais en sortir.
Tant pis. Prenons le taureau par les cornes. Encore une platitude. Et
puis ce gars-là n'avait rien d'un taureau. Tiens, elle n'est pas mauvaise
celle-là. Si j'écrivais : prenons le godelureau par la tresse de son chapeau
de feutre mou emmanché d'un long cou, peut-être bien que ce serait original.
Peut-être bien que ça me ferait connaître des messieurs de l'Académie
française, du Flore et de la rue Sébastien-Bottin. Pourquoi ne ferais-je
pas de progrès après tout. C'est en écrivant qu'on devient écriveron.
Elle est forte celle-là. Tout de même faut de la mesure. Le type sur la
plate-forme de l'autobus, il en manquait quand il s'est mis à engueuler
son voisin sous prétexte que ce dernier lui marchait sur les pieds chaque
fois qu'il se tassait pour laisser monter ou descendre des voyageurs.
D'autant plus qu'après avoir protesté comme cela, il est allé vite s'asseoir
dès qu'il a vu une place libre à l'intérieur comme s'il craignait les
coups. Tiens j'ai déjà raconté la moitié de mon histoire. Je me demande
comment j'ai fait. C'est tout de même agréable d'écrire. Mais il reste
le plus difficile. Le plus calé. La transition. D'autant plus qu'il n'y
a pas de transition. Je préfère m'arrêter.
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Désinvolte I
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Je monte dans le bus.
— C'est bien pour la porte Champerret ?
— Vous savez donc pas lire ?
— Excuses. Il moud mes tickets sur son ventre.
— Voilà.
— Merci. Je regarde autour de moi.
— Dites donc, vous. Il a une sorte de galon autour de son chapeau.
— Vous pourriez pas faire attention ? Il a un très long cou.
— Non mais dites donc. Le voilà qui se précipite sur une place
libre.
— Eh bien. Je me dis ça.
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Désinvolte II
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Je monte dans le bus.
— C'est bien pour la place de la Contrescarpe ?
— Vous savez donc pas lire ?
— Excuses. Son orgue de Barbarie fonctionne et il me rend mes
tickets avec un petit air dessus.
— Voilà.
— Merci. On passe devant la gare Saint-Lazare.
— Tiens le type de tout à l'heure. Je penche mon oreille.
— Tu devrais faire mettre un autre bouton à ton pardessus. Il
lui montre où.
— Il est trop échancré ton pardessus. Ça c'est vrai.
— Eh bien. Je me dis ça.
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Partial
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Après une attente démesurée l'autobus enfin tourna le coin de la rue
et vint freiner le long du trottoir. Quelques personnes descendirent,
quelques autres montèrent : j'étais de celles-ci. On me asse sur la plate-forme,
le receveur tira véhémentement sur une chasse de bruit et le véhicule
repartit. Tout en découpant dans un carnet le nombre de tickets que l'homme
à la petite boîte allait oblitérer sur son ventre, je me mis à inspecter
mes voisins. Rien que des voisins. Pas de femmes. Un regard désintéressé
alors. Je découvris bientôt la crème de cette boue circonscrivante : un
garçon d'une vingtaine d'années qui portait une petite tête sur un long
cou et un grand chapeau sur sa petite tête et une petite tresse coquine
autour de son grand chapeau.
Quel pauvre type, me dis-je.
Ce n'était pas seulement un pauvre type, c'était un méchant. Il se poussa
du côté de l'indignation en accusant un bourgeois quelconque de lui laminer
les pieds à chaque passage de voyageurs, montants ou descendants. L'autre
le regarda d'un œil sévère, cherchant une réplique farouche dans le répertoire
tout préparé qu'il devait trimbaler à travers les diverses circonstances
de la vie, mais ce jour-là il ne se retrouvait pas dans son classement.
Quant au jeune homme, craignant une paire de gifles, il profita de la
soudaine liberté d'une place assise pour se précipiter sur celle-ci et
s'y asseoir.
Je descendis avant lui et ne pus continuer à observer son comportement.
Je le destinais à l'oubli lorsque, deux heures plus tard, moi dans l'autobus,
lui sur le trottoir, je le revis cour de Rome, toujours aussi lamentable.
Il marchait de long en large en compagnie d'un camarade qui devait être
son maître d'élégance et qui lui conseillait, avec une pédanterie dandyesque,
de faire diminuer l'échancrure de son pardessus en y faisant adjoindre
un bouton supplémentaire.
Quel pauvre type, me dis-je.
Puis nous deux mon autobus, nous continuâmes notre chemin.
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Sonnet
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Glabre de la vaisselle et tressé du bonnet,
Un paltoquet chétif au cou mélancolique
Et long se préparait, quotidienne colique.
À prendre un autobus le plus souvent complet.
L'un vint, c'était un dix ou bien peut-être un S.
La plate-forme, hochet adjoint au véhicule,
Trimbalait une foule en son sein minuscule
Où des richards pervers allumaient des londrès
Le jeune girafeau, cité première strophe,
Grimpé sur cette planche entreprend un péquin
Lequel, proclame-t-il, voulait sa catastrophe,
Pour sortir du pétrin bigle une place assise
Et s'y met. Le temps passe. Au retour un faquin
À propos d'un bouton examinait sa mise.
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Olfactif
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Dans cet S méridien il y avait en dehors de l'odeur habituelle, odeur
d'abbés, de décédés, d'œufs, de geais, de haches, de ci-gîts, de cas,
d'ailes, d'aime haine au pet de culs, d'airs détestés, de nus vers, de
doubles vés cés, de hies que scient aides grecs, il y avait une certaine
senteur de long cou juvénile, une certaine perspiration de galon tressé,
une certaine âcreté de rogne, une certaine puanteur lâche et constipée
tellement marquées que lorsque deux heures plus tard je passai devant
la gare Saint-Lazare je les reconnus et les identifiai dans le parfum
cosmétique, fashionable et tailoresque qui émanait d'un bouton mal placé.
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Gustatif
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Cet autobus avait un certain goüt. Curieux mais incontestable. Tous les
autobus n'ont pas le même goüt. Ça se dit, mais c'est vrai. Suffit d'en
faire l'expérience. Celui-là - un S - pour ne rien cacher - avait une
petite saveur de cacahouète grillée je ne vous dis que ça. La plate-forme
avait son fumet spécial, de la cacahouète non seulement grillée mais encore
piétinée. à un mètre soixante au-dessus du tremplin, une gourmande, mais
il ne s'en trouvait pas, aurait pu lécher quelque chose d'un peu suret
qui était un cou d'homme dans sa trentaine. Et à vingt centimètres encore
au-dessus, il se présentait au palais exercé la rare dégustation d'un
galon tressé un peu cacaoté. Nous dégustâmes ensuite le chouigne-gueume
de la dispute, les châtaignes de l'irritation, les raisins de la colère
et les grappes d'amertume.
Deux heures plus tard nous eümes droit au dessert : un bouton de pardessus…
une vraie noisette…
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Tactile
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Les autobus sont doux au toucher surtout si on les prend entre les cuisses
et qu'on les caresse avec les deux mains, de la tête vers la queue, du
moteur vers la plate-forme. Mais quand on se trouve sur cette plate-forme
alors on perçoit quelque chose de plus âpre et de plus rêche qui est la
tôle ou la barre d'appui, tantôt quelque chose de plus rebondi et de plus
élastique qui est une fesse. Quelquefois il y en a deux, alors on met
la phrase au pluriel. On peut aussi saisir un objet tubulaire et palpitant
qui dégurgite des sons idiots, ou bien un ustensile aux spirales tressées
plus douces qu'un chapelet, plus soyeuses qu'un fil de fer barbelé, plus
veloutées qu'une corde et plus menues qu'un câble. Ou bien encore on peut
toucher du doigt la connerie humaine, légèrement visqueuse et gluante,
à cause de la chaleur.
Puis si l'on patiente une heure ou deux, alors devant une gare raboteuse,
on peut tremper sa main tiède dans l'exquise fraîcheur d'un bouton de
corozo qui n'est pas à sa place.
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Visuel
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Dans l'ensemble c'est vert avec un toit blanc, allongé, avec des vitres.
C'est pas le premier venu qui pourrait faire ça, des vitres. La plate-forme
c'est sans couleur, c'est moitié gris moitié marron si l'on veut. C'est
surtout plein de courbes, des tas d'S pour ainsi dire. Mais à midi comme
ça, heure d'affluence, c'est un drôle d'enchevêtrement. Pour bien faire
faudrait étirer hors du magma un rectangle d'ocre pâle, y planter au bout
un ovale pâle ocre et là-dessus coller dans les ocres foncés un galurin
que cernerait une tresse de terre de Sienne brülée et entremêlée par-dessus
le marché. Puis on t'y foutrait une tache caca d'oie pour représenter
la rage, un triangle rouge pour exprimer la colère et une pissée de vert
pour rendre la bile rentrée et la trouille foireuse.
Après ça on te dessinerait un de ces jolis petits mignons de pardingues
bleu marine avec, en haut, juste en dessous de l'échancrure, un joli mignon
bouton dessiné au petit quart de poil.
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Auditif
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Coinquant et pétaradant, l'S vint crisser le long du trottoir silencieux.
Le trombone du soleil bémolisait midi. Les piétons, braillantes cornemuses,
clamaient leurs numéros. Quelques-uns montèrent d'un demi-ton, ce qui
suffit pour les emporter vers la porte Champerret aux chantantes arcades.
Parmi les élus haletants, figurait un tuyau de clarinette à qui les malheurs
des temps avaient donné forme humaine et la perversité d'un chapelier
pour porter sur la timbale un instrument qui ressemblait à une guitare
qui aurait tressé ses cordes pour s'en faire une ceinture. Soudain au
milieu d'accords en mineur de voyageurs entreprenants et de voyajrices
consentantes et des trémolos bêlants du receveur rapace éclate une cacophonie
burlesque où la rage de la contrebasse se mêle à l'irritation de la trompette
et à la frousse du basson.
Puis, après soupir, silence, pause et double-pause, éclate la mélodie
triomphante d'un bouton en train de passer à l'octave supérieure.
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Réactionnaire
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Naturellement l'autobus était à peu près complet, et le receveur désagréable.
L'origine de tout cela, il faut la rechercher dans la journée de huit
heures et les projets de nationalisation. Et puis les français manquent
d'organisation et de sens civique ; sinon, il ne serait pas nécessaire
de leur distribuer des numéros d'ordre pour prendre l'autobus - ordre
est bien le mot. Ce jour-là, nous étions bien dix à attendre sous un soleil
écrasant et lorsque l'autobus arriva, il y avait seulement deux places,
et j'étais le sixième. Heureusement que j'ai dit « justice »,
en montrant une vague carte avec ma photo et une bande tricolore en travers
– cela impressionne toujours les receveurs – et je suis monté.
Naturellement je n'ai rien à voir avec l'ignoble justice républicaine
et je n'allais tout de même pas rater un déjeuner d'affaires très important
pour une vulgaire histoire de numéros. Sur la plate-forme nous étions
serrés comme harengs en caque. Je souffre toujours de cette promiscuité
dégoûtante. La seule chose qui puisse compenser ce désagrément,
c'est quelquefois le charmant contact du trémoussant arrière-train d'une
mignonne midinette. Ah jeunesse, jeunesse ! mais ne nous excitons pas.
Cette fois-là je n'avais dans mon voisinage que des hommes, dont une sorte
de zazou au cou démesuré et qui portait autour de son feutre mou une espèce
de tresse au lieu de ruban. Comme si on ne devrait pas envoyer tous ces
gars-là dans des camps de travail. Pour relever les ruines par exemple.
Celles des anglo-saxons surtout. De mon temps on était camelot du roy,
et pas swing. Toujours est-il que ce garnement se permet tout à coup d'engueuler
un ancien combattant, un vrai, de la guerre de 14-18. Et ce dernier qui
ne riposte pas ! on comprend quand on voit cela que le traité de Versailles
ait été une loufoquerie. Quant au galopin, il se précipita sur une place
libre au lieu de la laisser à une mère de famille. Quelle époque ! eh
bien, ce morveux prétentieux, je l'ai revu, deux heures plus tard, devant
la cour de Rome. Il était en compagnie d'un autre zazou du même acabit,
lequel lui donnait des conseils sur sa mise. Ils se baladaient de long
en large, tous les deux, - au lieu d'aller casser les vitrines d'une permanence
communiste et de brüler quelques bouquins. Pauvre France !
|
|
Hai kai
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l'S est-ce long cou marche pieds cris et retraite gare et bouton rencontre
|
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Vers libres
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L'autobus
plein
le coeur
vide
le cou
long
le ruban
tressé
les pieds
plats
plats et aplatis
la place
vide
et l'inattendue rencontre près de la gare aux mille feux éteints
de ce coeur, de ce cou, de ce ruban, de ces pieds,
de cette place vide,
et de ce bouton.
|
|
Féminin
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Quelle bande d'empotés ! aujourd'hui vers midi (ce qu'il faisait chaud,
heureusement que je m'étais mis de l'odorono sous les bras, sans ça ma
petite robe d'été en cretonne de ma petite couturière qui me fait des
prix, elle était fichue) du côté du parc Monceau (c'est mieux que le Luxembourg
où j'envoie mon fils, quelle idée d'avoir la pelade à son âge), l'autobus
passe, il était plein, mais j'ai vampé le receveur et je suis montée.
Naturellement le tas d'abrutis qui avait des numéros a protesté, mais
pfuitt ! l'autobus était loin. Et moi dedans. C'était surcomplet. Ce que
j'étais serrée, et pas un homme assis à l'intérieur qui m'aurait cédé
sa place. Quels goujats ! à côté de moi, il y avait un homme assez élégant
(c'est très chic une tresse autour d'un feutre mou au lieu de ruban, \
Adam \ a dü parler de cette nouvelle mode), malheureusement il avait le
cou trop long pour mon goüt. J'ai des amies qui prétendent que lorsqu'un
homme a une partie du corps plus grande que la normale (par exemple un
nez trop grand) ça indique aussi des capacités marquées dans un autre
domaine. Mais je n'en crois rien. En tout cas, ce monsieur très bien se
trémoussait tout le temps et je me demandais ce qu'il attendait pour m'adresser
la parole ou me mettre la main quelque part. C'est un timide, me disais-je.
Je n'avais pas tout à fait tort. Car le voilà qui se met à interpeller
un autre bonhomme qui avait une sale tête d'ailleurs et qui faisait exprès
de lui marcher sur les pieds. Si j'avais été ce jeune homme, je lui aurais
cassé la figure, mais au lieu de cela il est allé vite s'asseoir dès qu'il
a vu une place libre et il n'a d'ailleurs pas songé un seul instant à
me l'offrir. Ce qu'il ne faut pas voir, tout de même, au pays de la galanterie.
Un peu plus tard, comme je passais devant la gare Saint-Lazare (cette
fois j'étais assise), je l'ai aperçu qui discutait avec un ami (un assez
joli garçon, ma foi) à propos de l'échancrure de son pardessus (une drôle
d'idée de mettre un manteau par une chaleur pareille, mais ça fait toujours
habillé). Je l'ai regardé, mais l'imbécile il ne m'a même pas reconnue.
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Parties du discours
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Articles :le, la, les, un, une, des, du, au.
Substantifs : jour, midi, plate-forme, autobus, ligne S, côté, parc,
Monceau, homme, cou, chapeau, galon, lieu, coup, ruban, voisin, pieds,
fois, voyageur, discussion, place, heures, gare, saint, Lazare, conversation,
camarade, échancrure, pardessus, tailleur, bouton.
Adjectifs : arrière, compétent, complet, entouré, grand, libre, long,
tressé.
Verbes : apercevoir, porter, interpeller, prétendre, faire, marcher,
monter, descendre, abandonner, jeter, revoir, dire, diminuer, faire, remonter.
Pronoms : je, il, se, le, lui, son, qui, celui-ci, que, chaque, tout,
quelque.
Adverbes : peu, près, fort, exprès, ailleurs, rapidement, plus, tard.
Prépositions : vers, sur, de, en, sur, devant, en, avec, par, à.
Conjonctions : que, ou.
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Par devant
par derrière
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Un jour par devant vers midi par derrière sur la plate-forme par devant
arrière par derrière d'un autobus par devant à peu près complet par derrière,
j'aperçus par devant un homme par derrière qui avait par devant un long
cou par derrière et un chapeau par devant entouré d'un galon tressé par
derrière au lieu de ruban par devant. Tout à coup il se mit par derrière
à engueuler par devant un voisin par derrière qui, disait-il par devant,
lui marchait par derrière sur les pieds par devant, chaque fois qu'il
montait par derrière des voyageurs par devant. Puis il alla par derrière
s'asseoir par devant, car une place par derrière était devenue libre par
devant.
Un peu plus tard par derrière je le revis par devant devant la gare
Saint-Lazare par derrière avec un ami par devant qui lui donnait par derrière
des conseils d'élégance.
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Noms propres
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Sur la Joséphine arrière d'un Léon complet, j'aperçus un jour Théodule
avec Charles le trop long et Gibus entouré par Trissotin et pas par Rubens.
Tout à coup Théodule interpella Théodose qui piétinait Laurel et Hardy
chaque fois que montaient ou descendaient des poldèves. Théodule abandonna
d'ailleurs rapidement Eris pour Laplace.
Deux Huyghens plus tard, je revis Théodule devant Saint-Lazare en grand
Cicéron avec Brummel qui lui disait de retourner chez O'Rossen pour faire
remonter Jules de trois centimètres.
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Antonymique
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Minuit. Il pleut. Les autobus passent presque vides. Sur le capot d'un
ai du côté de la bastille, un vieillard qui a la tête rentrée dans les
épaules et ne porte pas de chapeau remercie une dame placée très loin
de lui parce qu'elle lui caresse les mains. Puis il va se mettre debout
sur les genoux d'un monsieur qui occupe toujours sa place.
Deux heures plus tôt, derrière la gare de Lyon, ce vieillard se bouchait
les oreilles pour ne pas entendre un clochard qui se refusait à dire qu'il
lui fallait descendre d'un cran le bouton inférieur de son caleçon.
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Botanique
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Après avoir fait le poireau sous un tournesol merveilleusement épanoui
je me greffai sur une citrouille en route vers le champ Perret. Là je
déterre une courge dont la tige était montée en graine et le citron surmonté
d'une capsule entourée d'une liane. Ce cornichon se met à enguirlander
un navet qui piétinait ses plates-bandes et lui écrasait ses oignons.
Mais, des dattes ! fuyant une récolte de châtaignes et de marrons, il
alla se planter en un terrain vierge.
Plus tard je le revis devant la serre des banlieusards. Il envisageait
une bouture de pois chiche en haut de sa corolle.
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Médical
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Après une petite séance d'héliothérapie, je craignis d'être mis en quarantaine,
mais montai finalement dans une ambulance pleine de grabataires. Là, je
diagnostique un gastralgique atteint de gigantisme opiniâtre avec élongation
trachéale et rhumatisme déformant du ruban de son chapeau. Ce crétin pique
soudain une crise hystérique parce qu'un cacochyme lui pilonne son tylosis
gompheux, puis ayant déchargé sa bile il s'isole pour soigner ses convulsions.
Plus tard je le revois, hagard devant un lazaret, en train de consulter
un charlatan au sujet d'un furoncle qui déparait ses pectoraux.
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Injurieux
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Après une attente infecte sous un soleil ignoble, je finis par monter
dans un autobus immonde où se serrait une bande de cons. Le plus con d'entre
ces cons était un boutonneux au sifflet démesuré qui exhibait un galurin
grotesque avec un cordonnet au lieu de ruban. Ce prétentiard se mit à
râler parce qu'un vieux con lui piétinait les panards avec une fureur
sénile ; mais il ne tarda pas à se dégonfler et se débina dans la direction
d'une place vide encore humide de la sueur des fesses du précédent occupant.
Deux heures plus tard, pas de chance, je retombe sur le même con en
train de pérorer avec un autre con devant ce monument dégueulasse qu'on
appelle la gare Saint-Lazare. Ils bavardochaient à propos d'un bouton.
Je me dis : qu'il le fasse monter ou descendre son furoncle, il sera toujours
aussi moche, ce sale con.
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Gastronomique
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Après une attente gratinée sous un soleil au beurre noir, je finis par
monter dans un autobus pistache où grouillaient les clients comme asticots
dans un fromage trop fait. Parmi ce tas de nouilles, je remarquai une
grande allumette avec un coup long comme un jour sans pain et une galette
sur sa tête qu'entourait une sorte de fil à couper le beurre. Ce veau
se mit à bouillir parce qu'une sorte de croquant (qui en fut baba) lui
assaisonnait les pieds poulette. Mais il cessa rapidement de discuter
le bout de gras pour se couler dans un moule devenu libre.
J'étais en train de digérer dans l'autobus de retour lorsque je le vis
devant le buffet de la gare Saint-Lazare avec un type tarte qui lui donnait
des conseils à la flan, à propos de la façon dont il était dressé. L'autre
en était chocolat.
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Zoologique
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Dans la volière qui, à l'heure où les lions vont boire, nous emmenait
vers la place Champerret j'aperçus un zèbre au cou d'autruche qui portait
un castor entouré d'un mille-pattes. Soudain, le girafeau se mit à enrager
sous prétexte qu'une bestiole voisine lui écrasait les sabots. Mais pour
éviter de se faire secouer les puces il cavala vers un terrier abandonné.
Je le revis plus tard devant le jardin d'acclimatation Plus tard, devant
le Jardin d'Acclimation, je revis le poulet en train de pépier avec un
zoziau à propos de son plumage.
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Impuissant
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Comment dire l'impression que produit le contact de dix corps pressés
sur la plate-forme arrière d'un autobus S un jour vers midi du côté de
la rue de Lisbonne ? Comment exprimer l'impression que vous fait la vue
d'un personnage au cou difformément long et au chapeau dont le ruban est
remplacé, on ne sait pourquoi, par un bout de ficelle ? Comment rendre
l'impression que donne une querelle entre un voyageur placide injustement
accusé de marcher volontairement sur les pieds de quelqu'un et ce grotesque
quelqu'un en l'ccurence le personnage ci-dessus décrit ? comment traduire
l'impression que provoque la fuite de ce dernier, déguisant sa lâcheté
du veule prétexte de profiter d'une place assise ?
Enfin comment formuler l'impression que cause la réapparition de ce
sire devant la gare Saint-Lazare deux heures plus tard en compagnie d'un
ami élégant qui lui suggérait des améliorations vestimentaires ?
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Modern style
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Dans un omnibus un jour vers midi il m'arriva d'assister à la petite
tragi-comédie suivante. Un godelureau affligé d'un long cou et chose étrange
d'un petit cordage autour du melon (mode qui fait florès mais que je réprouve),
prétextant soudain de la presse qui était grande, interpella son voisin
avec une arrogance qui dissimulait mal un caractère probablement veule
et l'accusa de piétiner avec une méthode systématique ses escarpins vernis
chaque fois qu'il montait ou descendait des dames ou des messieurs se
rendant à la porte de Champerret. Mais le gommeux n'attendit point une
réponse qui l'eüt sans doute amené sur le terrain et grimpa vivement sur
l'impériale où l'attendait une place libre, car un des occupants de notre
véhicule venait de poser son pied sur la molle asphalte du trottoir de
la place Pereire.
Deux heures plus tard comme je me trouvais alors moi-même sur cette
impériale j'aperçus le blanc-bec dont je viens de vous entretenir qui
semblait goüter fort la conversation d'un jeune gandin qui lui donnait
des conseils copurchic sur la façon de porter le pet-en-l'air dans la
haute.
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Probabiliste
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Les contacts entre habitants d'une grande ville sont tellement nombreux
qu'on ne saurait s'étonner s'il se produit quelquefois entre eux des frictions
d'un caractère général sans gravité. Il m'est arrivé récemment d'assister
à l'une de ces rencontres dépourvues d'aménité qui ont lieu en général
dans les véhicules destinés aux transports en commun de la région parisienne
aux heures d'affluence. Il n'y a d'ailleurs rien d'étonnant à ce que j'en
aie été le spectateur car je me déplace fréquemment de la sorte. Ce jour-là,
l'incident fut d'ordre infime, mais mon attention fut surtout attirée
par l'aspect physique et la coiffure de l'un des protagonistes de ce drame
minuscule. C'était un homme encore jeune, mais dont le cou était d'une
longueur probablement supérieure à la moyenne et dont le ruban du chapeau
était remplacé par du galon tressé. Chose curieuse, je le revis deux heures
plus tard en train d'écouter les conseils d'ordre vestimentaire que lui
donnait un camarade en compagnie duquel il se promenait de long en large,
avec négligence dirai-je.
Il n'y avait que peu de chances cette fois-ci pour qu'une troisième
rencontre se produisît, et le fait est que depuis ce jour jamais je ne
revis ce jeune homme, conformément aux raisonnables lois de la vraisemblance.
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Portrait
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Le stil est un bipède au cou très long qui hante les autobus de la ligne
S vers midi. Il affectionne particulièrement la plate-forme arrière où
il se tient, morveux, le chef couvert d'une crête entourée d'une excroissance
de l'épaisseur d'un doigt assez semblable à de la corde. D'humeur chagrine,
il s'attaque volontiers à plus faible que lui, mais s'il se heurte à une
riposte un peu vive il s'enfuit à l'intérieur du véhicule où il essaie
de se faire oublier.
On le voit aussi, mais beaucoup plus rarement, aux alentours de la gare
Saint- Lazare au moment de la mue. Il garde sa peau ancienne pour se protéger
contre le froid de l'hiver, mais souvent déchirée pour permettre le passage
du corps ; cette sorte de pardessus doit se fermer assez haut grâce à
des moyens artificiels. Le stil, incapable de les découvrir lui-même,
va chercher alors l'aide d'un autre bipède d'une espèce voisine, qui lui
fait faire des exercices.
La stilographie est un chapitre de la zoologie théorique et déductive
que l'on peut cultiver en toute saison.
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Interjections
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Psst ! heu ! ah ! oh ! hum ! ah ! ouf ! eh ! tiens ! oh ! peuh ! pouah
! ouïe ! ou ! aïe ! eh ! hein ! heu ! pfuitt !
Tiens ! eh ! peuh ! oh ! heu ! bon !
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Précieux
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C'était aux alentours d'un juillet de midi. Le soleil dans toute sa fleur
régnait sur l'horizon aux multiples tétines. L'asphalte palpitait doucement,
exhalant cette tendre odeur goudronneuse qui donne aux cancéreux des idées
à la fois puériles et corrosives sur l'origine de leur mal. Un autobus
à la livrée verte et blanche, blasonné d'un énigmatique S, vint recueillir
du côté du parc Monceau un petit lot favorisé de candidats voyageurs aux
moites confins de la dissolution sudoripare. Sur la plate-forme arrière
de ce chef-d'œuvre de l'industrie automobile française contemporaine,
où se serraient les transbordés comme harengs en caque, un garnement approchant
à petits pas de la trentaine et portant entre un cou d'une longueur quasi
serpentine et un chapeau cerné d'un cordaginet une tête aussi fade que
plombagineuse éleva la voix pour se plaindre avec une amertume non feinte
et qui semblait émaner d'un verre de gentiane, ou de tout autre liquide
aux propriétés voisines, d'un phénomène de heurt répété qui selon lui
avait pour origine un co-usager présent hic et nunc de la STCRP. Il prit
pour élever sa plainte le ton aigre d'un vieux vidame qui se fait pincer
l'arrière-train dans une vespasienne et qui par extraordinaire n'approuve
point cette politesse et ne mange pas de ce pain-là. Mais découvrant une
place vide il s'y jeta.
Plus tard, comme le soleil avait déjà descendu de plusieurs degrés l'escalier
monumental de sa parade céleste et comme de nouveau je me faisais véhiculer
par un autre autobus de la même ligne, j'aperçus le personnage plus haut
décrit qui se mouvait dans la cour de Rome de façon péripatétique en compagnie
d'un individu ejusdem farinae qui lui donnait, sur cette place vouée à
la circulation automobile, des conseils d'une élégance qui n'allait pas
plus loin que le bouton.
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Inattendu
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Les copains étaient assis autour d'une table de café lorsque Albert les
rejoignit. Il y avait là René, Robert, Adolphe, Georges, Théodore.
— Alors ça va ? demande cordialement Robert.
— Ça va, dit Albert. Il appela le garçon.
— Pour moi, ce sera un picon, dit-il. Adolphe se tourna vers
lui :
— Alors, Albert, quoi de neuf ?
— Pas grand-chose.
— Il fait beau, dit Robert.
— Un peu froid, dit Adolphe.
— Tiens, j'ai vu quelque chose de drôle aujourd'hui, dit Albert.
— Il fait chaud tout de même, dit Robert.
— Quoi ? demanda René.
— Dans l'autobus, en allant déjeuner, répondit Albert.
— Quel autobus ?
— L's.
— Qu'est-ce que tu as vu ? demanda Robert.
— J'en ai attendu trois au moins avant de pouvoir monter.
— À cette heure-là ça n'a rien d'étonnant, dit Adolphe.
— Alors qu'est-ce que tu as vu ? demanda René.
— On était serrés, dit Albert.
— Belle occasion pour le pince-fesse.
— Peuh, dit Albert. Il ne s'agit pas de ça.
— Raconte alors.
— À côté de moi il y avait un drôle de type.
— Comment ? demanda René.
— Grand, maigre, avec un drôle de cou.
— Comment ? demanda René.
— Comme si on lui avait tiré dessus.
— Une élongation, dit Georges.
— Et son chapeau, j'y pense : un drôle de chapeau.
— Comment ? demanda René.
— Pas de ruban, mais un galon tressé autour.
— Curieux, dit Robert.
— D'autre part, continua l'Albert, c'était un râleur ce type.
— Pourquoi ça ? demanda René.
— Il s'est mis à engueuler son voisin.
— Pourquoi ça ? demanda René.
— Il prétendait qu'il lui marchait sur les pieds.
— Exprès ? demanda Robert.
— Exprès, dit Albert.
— Et après ?
— Après ? il est allé s'asseoir, tout simplement.
— C'est tout ? demanda René.
— Non. Le plus curieux c'est que je l'ai revu deux heures plus
tard.
— Où ça ? demanda René.
— Devant la gare Saint-Lazare.
— Qu'est-ce qu'il fichait là ?
— Je ne sais pas, dit Albert. Il se promenait de long en large
avec un copain qui lui faisait remarquer que le bouton de son pardessus
était placé un peu trop bas.
— C'est en effet le conseil que je lui donnais, dit Théodore.
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