Le surréalisme

Pour commencer, deux vidéos.

Un documentaire dur le mouvement Dada, inspirateur du surréalisme (documentaire qui vous donnera l'occasion d'entendre l'accent québecois) :


Puis un entretien radiophonique avec André Breton, qui évoque justement le mouvement Dada :




La suite de cette page provient de l'excellent site magister, que je vous conseille de consulter régulièrement, pour alimenter votre culture littéraire.


Chronologie (placez votre curseur sur les événements).

Rencontre de Breton et d'Aragon.

Dada à Paris Manifeste du surréalisme Adhésion au Parti Communiste Un Cadavre Affaire Aragon Tract contre les procès de Moscou Breton rencontre Trotski au Mexique Exil de Breton en Amérique Exposition internationale du surréalisme

Mort d'André Breton

 1917 1919 1924 1927 1930 1932 1936 1938 1941 1947 1966

 

 

  e mot « surréalisme » a été choisi en hommage à Apollinaire. Celui-ci venait en effet de mourir (1918) et avait signé peu auparavant avec Les Mamelles de Tirésias un « drame surréaliste ». C'est dans son premier Manifeste que Breton en propose la définition : Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
  En fait, le surréalisme dépasse très largement cette définition de l'écriture automatique, Breton ayant pris grand soin de le distinguer d'une école littéraire. C'est dans la vie que le surréalisme devait trouver son territoire en promouvant un nouveau regard sur les objets et sur les mots, qu'il a débarrassés de leur utilitarisme. Veillant à ne laisser échapper aucune association mentale digne de contribuer à la libération de l'esprit, il a fourni aussi le modèle durable d'une insurrection générale contre tous les mots d'ordre de la société bourgeoise. Profondément marqué enfin par la personnalité d'André Breton, le surréalisme est indissociable d'une morale dont les impératifs catégoriques - la poésie, l'amour, la liberté - ont été haut tenus, malgré les vicissitudes du groupe et les tentatives de réduction.
  Parmi celles-ci, la récupération scolaire pouvait représenter la plus redoutable, mais ses exégèses n'ont pas toujours été malveillantes. Notre propos est en tout cas de présenter les traits distinctifs du surréalisme à l'aide de quatre textes qui, tous, pourraient donner lieu à des prolongements fertiles, même à l'intérieur de murs ô combien honnis par les membres du groupe.

 

 

1. L'« automatisme psychique pur »

  Le surréalisme a d'abord entrepris la libération des mots, refusant de les cantonner à l'utilitarisme étroit auquel on les condamne. Par ce biais, il a devancé les recherches des linguistes contemporains, attentifs à distinguer le pouvoir du signifiant de la chose signifiée. Oublieux du sens étroit indiqué par les dictionnaires, les surréalistes ont considéré les mots en soi et examiné leurs réactions les uns sur les autres. « Ce n'est qu'à ce prix, note Breton, qu'on pouvait espérer rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour quelques-uns dont j'étais, devait faire faire un grand pas à la connaissance, exalter d'autant la vie.» (Les Pas perdus).

breton3.jpg (4748 octets) André Breton (1896-1966)
Manifeste du surréalisme (1924)

  Aux écoutes d'une « voix intérieure » qui leur dicte Les Champs magnétiques (1919), Breton et Soupault élaborent une poétique radicalement nouvelle, bâtie sur le caractère impérieux et gratuit d'un automatisme verbo-auditif. Revenant, dans son premier Manifeste, sur l'expérience, Breton ne doute pas d'avoir trouvé là la matière première de l'inspiration poétique et il assignera pour tâche au surréalisme l'exploration de l'inconscient, terreau de ce matériau inouï.

  Un soir donc, avant de m'endormir, je perçus, nettement articulée au point qu'il était impossible d'y changer un mot, mais distraite cependant du bruit de toute voix, une assez bizarre phrase qui me parvenait sans porter trace des événements auxquels, de l'aveu de ma conscience, je me trouvais mêlé à cet instant-là, phrase qui me parut insistante, phrase oserai-je dire qui cognait à la vitre. J'en pris rapidement notion et me disposais à passer outre quand son caractère organique me retint. En vérité cette phrase m'étonnait; je ne l'ai malheureusement pas retenue jusqu'à ce jour, c'était quelque chose comme : « Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre », mais elle ne pouvait souffrir d'équivoque, accompagnée qu'elle était de la faible représentation visuelle d'un homme marchant et tronçonné à mi-hauteur par une fenêtre perpendiculaire à l'axe de son corps. A n'en pas douter il s'agissait du simple redressement dans l'espace d'un homme qui se tient penché à la fenêtre. Mais cette fenêtre ayant suivi le déplacement de l'homme, je me rendis compte que j'avais affaire à une image d'un type assez rare et je n'eus vite d'autre idée que de l'incorporer à mon matériel de construction poétique. Je ne lui eus pas plus tôt accordé ce crédit que d'ailleurs elle fit place à une succession à peine intermittente de phrases qui ne me surprirent guère moins et me laissèrent sous l'impression d'une gratuité, telle que l'empire que j'avais pris jusque-là sur moi-même me parut illusoire et que je ne songeai plus qu'à mettre fin à l'interminable querelle qui a lieu en moi.
  Tout occupé que j'étais encore de Freud à cette époque et familiarisé avec ses méthodes d'examen que j'avais eu quelque peu l'occasion de pratiquer sur des malades pendant la guerre, je résolus d'obtenir de moi ce qu'on cherche à obtenir d'eux, soit un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l'esprit critique du sujet ne fasse porter aucun jugement, qui ne s'embarrasse, par suite, d'aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée. Il m'avait paru, et il me paraît encore - la manière dont m'était parvenue la phrase de l'homme coupé en deux en témoignait - que la vitesse de la pensée n'est pas supérieure à celle de la parole, et qu'elle ne défie pas forcément la langue, ni même la plume qui court. [...]
  Sur la foi de ces découvertes, un courant d'opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l'explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations, autorisé qu'il sera à ne plus seulement tenir compte des réalités sommaires. L'imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d'étranges forces capables d'augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter, à les capter d'abord, pour les soumettre ensuite, s'il y a lieu, au contrôle de notre raison.

 

 Louis Aragon évoque, dans ce poème intitulé "Les mots m'ont pris par la main" (Le Roman inachevé, 1956), la période au cours de laquelle le groupe surréaliste élabora les principes de l'écriture automatique :

Nous étions trois ou quatre au bout du jour
                                               assis
A marier les sons pour rebâtir les choses
Sans cesse procédant à des métamorphoses
Et nous faisions surgir d'étranges animaux
Car l'un de nous avait inventé pour les mots
            Le piège à loup de la vitesse
Garçon de quoi écrire Et naissaient à nos pas
L'antilope-plaisir les mouettes compas
            Les tamanoirs de la tristesse
Images à l'envers comme on peint les plafonds
Hybrides du sommeil inconnus à Buffon
            Êtres de déraison Chimères
Vaste alphabet d'oiseaux tracé sur l'horizon
            De coraux sur le fond des mers
Hiéroglyphes aux murs cyniques des prisons
N'attendez pas de moi que je les énumère
Chasse à courre aux taillis épais Ténèbre-mère
Cargaison de rébus devant les victimaires
Louves de la rosée Élans des lunaisons
Floraisons à rebours où Mesmer mime Homère
Sur le marbre où les mots entre nos mains s'aimèrent
Voici le gibier mort voici la cargaison
Voici le bestiaire et voici le blason
Au soir on compte les têtes de venaison
                        Nous nous grisons d'alcools amers
                                       O saisons
Du langage ô conjugaison
                                     des éphémères
Nous traversons la toile et le toit des maisons
Serait-ce la fin de ce vieux monde brumaire
Les prodiges sont là qui frappent la cloison
Et déjà nos cahiers s'en firent le sommaire
Couverture illustrée où l'on voit Barbizon
La mort du Grand Ferré Jason et la Toison
Déjà le papier manque au temps mort du délire

                                  Garçon de quoi écrire




                      

Questions :

  • Repérez dans le texte d'André Breton comment la part donnée au hasard se mêle à celle de l'expérimentation quasi scientifique sur le langage (Breton précise peu après que cette entreprise «peut passer pour être aussi bien du ressort des poètes que des savants»).
  • Le poème d'Aragon est bâti sur la métaphore filée de la chasse ou de la conquête : pourquoi ? Relevez-en les termes principaux et essayez d'en éclairicir les allusions.
  • Activités surréalistes : partant du principe que «la poésie doit être faite par tous, non par un», on pourra inviter les élèves à produire des textes en écriture automatique ou leur faire pratiquer certains jeux surréalistes destinés à mettre en valeur l'activité inconsciente de l'esprit et la beauté d'images dont la gratuité est garantie par l'activité collective : le jeu bien connu du cadavre exquis; celui de « L'un dans l'autre » :

      L'un des joueurs sort avec mission de s'identifier à un objet de son choix. Les autres, pendant ce temps, lui assignent également un objet et l'en informent à son retour. Il doit alors se décrire comme étant l'objet qui lui a été assigné, mais en des termes tels qu'on puisse deviner celui qu'il avait choisi. Par exemple : Toyen apprend qu'elle est un peigne. Soit. « Je suis - dira-t-elle - un peigne dépourvu de dents dont on se sert avec les pieds pour faire des raies dans une chevelure plane et très résistante.» Quelqu'un finit par lancer : patin à glace ? - Gagné !
    Philippe Audoin, Les Surréalistes, Seuil, 1973.

    ou encore le jeu des questions, capable de faire saisir les curieuses rencontres du « hasard objectif » :

      On sépare la classe en deux groupes distincts. Un premier groupe écrit dix questions, numérotées de 1 à 10, commençant obligatoirement par : « Qu'est-ce que ...? » ; le deuxième groupe écrit, de son côté, dix réponses commençant par : « C'est...». Un meneur de jeu sollicite alors un numéro de question; le premier groupe la pose au second en précisant au hasard le numéro de la réponse qu'il souhaite obtenir, etc.

  

 

2. Des « spécialistes de la révolte »

  Happé par le siècle, le surréalisme s'est constamment situé au cœur des événements. Mais sa position ne pouvait se satisfaire de l'appareil des partis, y compris de celui du Parti communiste, dont il a voulu un temps se sentir proche. C'est qu'aux impératifs de la Révolution sociale, les surréalistes ont toujours subordonné l'urgence majeure qui devait être la libération des modes de pensée : «"Transformer le monde" a dit Marx ; "changer la vie" a dit Rimbaud : ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un », affirme Breton (Position politique du surréalisme). Antonin Artaud formulera plus définitivement ces objections à l'égard d'une révolution qui n'aurait que l'économie pour domaine : « Je méprise trop la vie pour penser qu'un changement quel qu'il soit qui se développerait dans le cadre des apparences puisse rien changer à ma déplorable condition. »   (A la grande nuit, ou le bluff surréaliste, 1927). Breton confirmera plus tard : « L'étreinte poétique comme l'étreinte de chair / Tant qu'elle dure / Défend toute échappée sur la misère du monde.» (Sur la route de San Romano, 1948).

 

Antonin Artaud (1896-1948)
Déclaration du 27 janvier 1925

Ouvert le 11 octobre 1924 au 15, rue de Grenelle, le Bureau de Recherches surréalistes a l'ambition de recevoir tous ceux que le Surréalisme intéresse et d'être attentif à leurs questions comme à leurs propositions. Porte ouverte sur l'inconnu, cette « Centrale », qui fermera l'année suivante, fut pendant quelques mois dirigée par Antonin Artaud.

      Eu égard à une fausse interprétation de notre tentative stupidement répandue dans le public,
     Nous tenons à déclarer ce qui suit à toute l'ânonnante critique littéraire, dramatique, philosophique, exégétique et même théologique contemporaine :
     1° Nous n'avons rien à voir avec la littérature,
  Mais nous sommes très capables, au besoin, de nous en servir comme tout le monde.
    2° Le
SURRÉALISME n'est pas un moyen d'expression nouveau ou plus facile, ni même une métaphysique de la poésie;
  Il est un moyen de libération totale de l'esprit
       et de tout ce qui lui ressemble.
   
3° Nous sommes bien décidés à faire une Révolution.
   4° Nous avons accolé le mot de
SURRÉALISME  au mot de RÉVOLUTION uniquement pour montrer le caractère désintéressé, détaché, et même tout à fait désespéré, de cette révolution.
    5° Nous ne prétendons rien changer aux mœurs des hommes, mais nous pensons bien leur démontrer la fragilité de leurs pensées, et sur quelles assises mouvantes, sur quelles caves, ils ont fixé leurs tremblantes maisons.
    6° Nous lançons à la Société cet avertissement solennel :
  Qu'elle fasse attention à ses écarts, à chacun des faux pas de son esprit nous ne la raterons pas.
    7° A chacun des tournants de sa pensée, la Société nous retrouvera.
    8° Nous sommes des spécialistes de la Révolte.
   Il n'est pas de moyen d'action que nous ne soyons capables, au besoin, d'employer.
    9° Nous disons plus spécialement au monde occidental :
           le SURRÉALISME
EXISTE
   
 –  Mais qu'est-ce donc que ce nouvel isme qui s'accroche maintenant à nous ?
    – Le
SURRÉALISME n'est pas une forme poétique.
    Il est un cri de l'esprit qui retourne vers lui-même et est bien décidé à broyer désespérément ses entraves,
  et au besoin par des marteaux matériels.
                                                                           DU BUREAU DE RECHERCHES SURRÉALISTES
                                                                                       15, rue de Grenelle

Questions :

  • Repérez les procédés qui donnent au texte sa solennité et son arrogance.
  • Honneur ou déshonneur des poètes ? En réponse au recueil L'Honneur des poètes, qui regroupait des poésies d'inspiration patriotique publiées clandestinement en France sous l'Occupation, Benjamin Péret, membre du groupe surréaliste jusqu'à sa mort, écrivit le Déshonneur des poètes (1945), dont voici un extrait :

      Tout poème qui exalte une «liberté» volontairement indéfinie, quand elle n'est pas décorée d'attributs religieux ou nationalistes, cesse d'abord d'être un poème et par suite constitue un obstacle à la libération totale de l'homme, car il le trompe en lui montrant une «liberté» qui dissimule de nouvelles chaînes. Par contre, de tout poème authentique s'échappe un souffle de liberté entière et agissante, même si cette liberté n'est pas évoquée sous son aspect politique ou social, et, par là, contribue à la libération effective de l'homme.

    Après avoir recherché les formes qu'a pu prendre l'action des poètes au XXème siècle (Résistance, guerres de colonisation...), vous prendrez position dans le débat.

3. Une « mythologie moderne »

  Baudelaire le notait déjà : « La vie parisienne est féconde en sujets poétiques et merveilleux : le merveilleux nous enveloppe et nous abreuve comme l'atmosphère ». Les surréalistes furent attentifs à la vie secrète de la grande ville, dont les rues fourmillent de « hasards objectifs » : ceux des rencontres dans le « vent de l'éventuel », comme le dit Breton (voyez nos pages sur Nadja), mais aussi ceux des associations fortuites permises par le spectacle des vitrines ou des affiches publicitaires. Dégagées de leur visée commerciale, celles-ci fournissent au promeneur égaré une imagerie entièrement inédite qui est à la source de la modernité.

Louis Aragon (1897-1982)
Le Paysan de Paris (1926)

  Fondateur du surréalisme au même titre que Breton, Aragon signe des textes d'une grande virtuosité où s'épanouit le goût du quotidien insolite. Breton se souvient dans ses Entretiens (1952) de son extraordinaire compagnon de promenade : «Les lieux de Paris, même les plus neutres, par où l'on passait avec lui, étaient rehaussés de plusieurs crans par une fabulation magico-romanesque qui ne restait jamais à court et fusait à propos d'un tournant de rue ou d'une vitrine.»

  Pourtant qu'était-ce, ce besoin qui m'animait, ce penchant que j'inclinais à suivre, ce détour de la distraction qui me procurait l'enthousiasme ? Certains lieux, plusieurs galeries, j'éprouvais leur force contre moi bien grande, sans découvrir le principe de cet enchantement. Il y avait des objets usuels qui, à n'en pas douter, participaient pour moi du mystère, me plongeaient dans le mystère. J'aimais cet enivrement dont j'avais la pratique, et non pas la méthode. Je le quêtais à l'empirisme avec l'espoir souvent déçu de le retrouver. Lentement j'en vins à désirer connaître le lien de tous ces plaisirs anonymes. Il me semblait bien que l'essence de ces plaisirs fût toute métaphysique, il me semblait bien qu'elle impliquât à leur occasion une sorte de goût passionné de la révélation. Un objet se transfigurait à mes yeux, il ne prenait point l'allure allégorique ni le caractère du symbole; il manifestait moins une idée qu'il n'était cette idée lui-même. Il se prolongeait ainsi profondément dans la masse du monde. Je ressentais vivement l'espoir de toucher à une serrure de l'univers : si le pêne allait tout à coup glisser. Il m'apparaissait aussi dans cet ensorcellement que le temps ne lui était pas étranger. Le temps croissant dans ce sens suivant lequel je m'avançais chaque jour, chaque jour accroissait l'empire de ces éléments encore disparates sur mon imagination. Je commençais de saisir que leur règne puisait sa nature dans leur nouveauté, et que sur l'avenir de ce règne brillait une étoile mortelle. Ils se montraient donc à moi comme des tyrans transitoires, et en quelque sorte les agents du hasard auprès de ma sensibilité. La clarté me vint enfin que j'avais le vertige du moderne. [...]
  Il ne put m'échapper bien longtemps que le propre de ma pensée, le propre de l'évolution de ma pensée était un mécanisme en tout point analogue à la genèse mythique, et que sans doute je ne pensais rien que du coup mon esprit ne se formât un dieu, si éphémère, si peu conscient qu'il fût. Il m'apparut que l'homme est plein de dieux comme une éponge immergée en plein ciel. Ces dieux vivent, atteignent à l'apogée de leur force, puis meurent, laissant à d'autres dieux leurs autels parfumés. Ils sont les principes mêmes de toute transformation de tout. Ils sont la nécessité du mouvement. Je me promenai donc avec ivresse au milieu de mille concrétisations divines. Je me mis à concevoir une mythologie en marche. Elle méritait proprement le nom de mythologie moderne. Je l'imaginai sous ce nom.

Questions :

  • Du surréalisme, pourtant adepte du matérialisme, on a pu dire qu'il manifestait une nostalgie du sacré. Montrez comment ce texte exprime en effet, à part égale, ces deux tendances.
  • A propos de la poésie du quotidien, les surréalistes ont été novateurs, anticipant par exemple sur les analyses sémiologiques de la publicité qui ont mis en valeur le caractère totémique de l'objet commercial, porteur de rêves et d'aspirations collectives. Mais si la publicité aboutit à l'émergence d'une mythologie moderne, l'objet divinisé dont elle assure la promotion n'exprime bien sûr que des stéréotypes mercantiles. Montrez que dans le texte d'Aragon, au contraire, ces objets sont mythiques en raison de leur mystère et de leur transitoire nouveauté.

 

4. « L'amour la poésie »

  « La femme est l'être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves » écrivait Baudelaire. A la lueur de cette étoile, les surréalistes ont magnifié la relation amoureuse, méritant ce qu' Albert Camus écrivait de Breton : « Dans la chiennerie de son temps, et ceci ne peut s'oublier, il est le seul à avoir parlé profondément de l'amour. L'amour est la morale en transes qui a servi de patrie à cet exilé. » (L'Homme révolté). Opposé certes à la chiennerie du temps, l'amour est aussi pour les surréalistes cette révolution privée où s'autorisent toutes les transgressions. Ce discours amoureux, dont les fragments épars chez des auteurs pourtant divisés se répondent en échos harmonieux, est sans doute ce que le surréalisme aura laissé de plus vibrant pour attester de son énergie.

Paul Eluard (1895-1952)
Poésie ininterrompue, I, v. 182-220 (1945)

  Bien que tardif dans la production du mouvement (et dans celle d'Eluard), ce long poème exprime avec ferveur toute l'importance que les surréalistes ont donnée à l'amour, en tant qu'il engage le salut de tous et constitue la réponse la plus définitive que l'homme puisse opposer à l'absurdité et à la barbarie du monde.

De l'océan à la source
De la montagne à la plaine
Court le fantôme de la vie
L'ombre sordide de la mort
Mais entre nous
Une aube naît de chair ardente
Et bien précise
Qui remet la terre en état
Nous avançons d'un pas tranquille
Et la nature nous salue
Le jour incarne nos couleurs
Le feu nos yeux et la mer notre union

Et tous les vivants nous ressemblent
Tous les vivants que nous aimons

Les autres sont imaginaires
Faux et cernés de leur néant
Mais il nous faut lutter contre eux
Ils vivent à coups de poignard
Ils parlent comme un meuble craque

Leurs lèvres tremblent de plaisir
A l'écho de cloches de plomb
A la mutité d'un or noir

Un seul cœur pas de cœur
Un seul cœur tous les cœurs
Et les corps chaque étoile
Dans un ciel plein d'étoiles
Dans la carrière en mouvement
De la lumière et des regards
Notre poids brillant sur terre
Patine de la volupté

A chanter des plages humaines
Pour toi la vivante que j'aime
Et pour tous ceux que nous aimons
Qui n'ont envie que de s'aimer
Je finirai bien par barrer la route
Au flot des rêves imposés
Je finirai bien par me retrouver
Nous prendrons possession du monde


Max ERNST, " Au Rendez-vous des amis ", 1922, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne.


  Ce tableau fut exécuté par Max Ernst en 1922, alors qu'il venait de quitter la Suisse pour rejoindre Gala Eluard à Paris. Il représente le groupe au moment où le peintre l'a rencontré, flanqué de Raphaël (coiffé d'un béret) et de Dostoïevski (personnage barbu), deux ancêtres bien douteux du surréalisme. Sont-ils là pour incarner deux modèles à fuir : une peinture religieuse et académique pour le premier, une conception réaliste du roman pour le second ? C'est d'ailleurs sur un extrait de Crime et châtiment que Breton s'appuiera, dans le Manifeste, pour condamner la description. Ici, Ernst, assis irrévérencieusement sur les genoux de Dostoïevski, ne semble-t-il pas lui tirer la barbe ? Sur fond de paysage alpestre, les membres du groupe paraissent disposés de manière allégorique : statique, le bloc de gauche s'oppose au dynamisme des personnages de droite qui ont l'air d'arriver en courant. La position quasi identique de leur main fait penser à une sorte de langage de sourd-muet. On pourra surtout commenter celle d'André Breton (cape rouge), qui semble, en mage souverain, distribuer son onction au groupe. Seuls René Crevel (à gauche) se détourne sur un clavier imaginaire (le clavecin de Diderot ?) et Gala Eluard (bientôt Dali), à droite, indique la sortie... Cette toile devenue mythique ignore curieusement Tristan Tzara et Francis Picabia.


Le film surréaliste le plus célèbre et probablement le plus représentatif s'intitule Un Chien andalou. Il fut réalisé par Luis Buñuel et Salvador Dali en 1928. Le voici, en intégralité (attention, âmes sensibles s'abstenir ):



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