Le traitement du temps dans le livre et le film

Michel Bigot, dans Zazie dans le métro de Raymond Queneau, remarque que "l'action du roman se déroule selon une chronologie interne assez précise". Entre le premier et le dernier chapitre, "trente-six heures environ s'écoulent, qui se répartissent sur trois jours". La temporalité du roman est donc "linéaire", et l'enchaînement des actions est "logique et chronologique", malgré quelques ellipses justifiées d'un point de vue dramatique : "chaque chapitre correspond à une unité narrative, qui dépend de la précédente comme de la suivante".

Mais qu'en est-il du film de Louis Malle ?

I - UN TEMPS LINÉAIRE

Voici un tableau récapitulatif de la répartition temporelle des actions, dans le Zazie de Louis Malle :



Question 1 :
Que concluez-vous sur le traitement global de la temporalité dans le film de Malle ? Correspond-elle à celle du livre ? Quelle scène unique, mettant en scène Trouscaillon et Zazie, échappe à ce constat ? Répondez en un paragraphe.


PÉRIODE 1

Question 2 :
Montrez que la première période (séquence 1 à 7) forment la partie expositive (ou situation initiale) du récit, qui répond aux questions légitimes du spectateur fraîchement entré dans l'histoire :
     a. Où ?
     b. Quand ?
     c. Qui ?
     d. Pourquoi ?


PÉRIODE 2

Les séquences 8 à 52 correspondant aux chapitres 3 à 18 du roman, constituent le coeur du récit. L'action dure environ 24 heures, transposées en  70 minutes de film. C'est dans cete période que se déroule le parvours initiatique, ou "l'odyssée" de Zazie, pour reprendre le mot de Queneau. Vous l'avez étudiée lors du cours précédent.

PÉRIODE 3

Les séquences 53 à 57 correspondent au dernier chapitre du roman, à son épilogue. Elles transposent quelques heures de la diégèse et sont traitées en 3 minutes dans le film, environ.


Globalement, le récit de Zazie dans le métro respecte assez scrupuleusement la structure prototypique  de toute histoire traditionnelle :

- le récit respecte le schéma actanciel de Greimas :


Greimas est un narratologue structuraliste qui a montré que le récit traditionnel correspond toujours à un schéma actanciel (ou modèle actantiel) qui rassemble l'ensemble des rôles (les actants) et des relations qui ont pour fonction la narration d'un récit, par acte. Il a été créé par A. J. Greimas en 19661. Un personnage, le héros, poursuit la quête d'un objet. Les personnages, événements, ou objets positifs qui l'aident dans sa quête sont nommés adjuvants. Les personnages, événements ou objets négatifs qui cherchent à empêcher sa quête sont nommés opposants. La quête est commanditée par un émetteur (ou destinateur, ou énonciateur - voir l'article énonciation), au bénéfice d'un destinataire. D'une façon générale, tous les personnages qui tirent profit de la quête sont les bénéficiaires.

Question 3 :

Appliquez ce schéma actanciel à Zazie dans le métro. Notez que les actants peuvent se retrouver à la fois sujet et destinataires, par exemple, et que chacun de ces rôles n'est pas forcément rempli par un personnage : un trait de caractère, un événement peuvent aussi faire l'affaire ! Répondez en un paragraphe de dix lignes.


- le récit respecte le schéma narratif qu'ont dégagé les structuralistes après le travail de Vladimir Propp en analysant des millers de contes traditionnels :



Vladimir Propp, folkloriste russe, est l'initiateur en 1928 de l'analyse structurale du conte. Il a écrit un ouvrage très important : Morphologie du conte, publié en France en 1965.
Pour lui, "avant d'élucider la question de l'origine du conte, il est évident qu'il faut savoir ce qu'est le conte".  Toute étude génétique (de l'origine de l'écriture) et sémantique (du sens) du conte nécessite donc une étude morphologique (des composantes) préalable. Propp analyse un corpus d'une centaine de contes merveilleux de la tradition russe, recueillis par Afanassier. Il fait apparaître des "variables" (noms et attributs des personnages) et des "constantes" (fonctions qu'ils accomplissent : par "fonctions" nous entendons l'action d'un personnage, définie du point de vue  de sa signification dans le déroulement de l'intrigue). Il établit une liste de 31 fonctions "qui représente la base morphologique des contes merveilleux en général". Ces fonctions (ou actants, pour Greimas) peuvent ne pas être toutes présentes dans un conte, mais s'enchaînent dans un ordre identique, qui ne doit pas être perturbé par le conteur, libre par contre dans le choix des fonctions ou dans leur omission. Elles se regroupent par couples (interdiction-transgression, interrogation-information, combat-victoire etc), par ensembles (mise à l'épreuve du héros, sa réaction, sa récompense) ou sont isolées (mariage etc). Ces fonctions sont organisées en 2 séquences, à partir d'un manque ou d'un méfait initial, jusqu'à sa réparation finale. (Source : CNDP)

Question 4 :

Montrez, en vous aidant de votre travail de la dernière séance et votre réponse à la question 2, que Zazie dans le métro correspond bien à cette structure traditionnelle. Répondez en un paragraphe de dix lignes.


II - UN TEMPS TROUÉ

Si la temporalité est globalement linéaire, elle n'en est pas pour autant exempte d'ellipses. Celles-ci peuvent être tout à fait légitimes (celles qui sont situées "à la jointure des chapitres", par exemple, comme le remarque Michel Bigot.)

D'autres sont plus problématiques, comme vous allez le voir.

Il existe deux sortes d'ellipses :

     - l'ellipse dramatique : elle passe sous silence des événements ou des épisodes pour des besoins dramatiques, c'est-à-dire pour ménager un certain suspense, ou une certaine efficacité dans le récit.

Question 5 :

Montrez l'utilité de l'ellipse dramatique qui survient entre les séquences 7 et 8 ? Répondez en deux lignes.

Question 6 :

En revanche, quel est l'intérêt, dans le film, de signaler l'ellipse comme le fait Louis Malle à 36:58 ?... Répondez en deux lignes.

     - l'ellipse narrative : elle passe sous silence tout ce qui n'a pas d'intérêt pour le récit. Elle est inhérente au processus même de narration : imaginez un film qui montrerait absolument tout ce qui se passe dans le récit ! Ce serait interminable et sans intérêt. Le cinéma se nourrit de ce type d'ellipse. Bien entendu, ces ellipses sont innombrables dans le film. Mais deux passages du film sont remarquables, à ce sujet :

                    - extrait du film : 11:44 à 11:51

                    


Question 7 :

Qu'est-ce qui pose problème ici ? Y a-t-il une ellipse, ou pas entre le départ de Zazie et le retour d'Albertine ?... Quel principe de base du langage cinématographique est nié par Louis Malle dans cet extrait ? Répondez en un paragraphe.

                    - extrait du film : 15:19 à 15:22

Question 8 :

Même question ! Répondez en un paragraphe.


III - UN TEMPS TRUQUÉ

1. apparitions, dédoublements, clignotements, disparitions

Comme vous venez de le voir, certes, la temporalité dans Zazie est globalement linéaire, mais si l'on en gratte le vernis, si on l'observe de plus près, elle fourmille d'"accidents", de fêlures temporelles, qui laissent entrevoir un monde fictionnel régi par des lois physiques différentes.

Dans le livre de Queneau, les personnages "apparaissent" aussi souvent qu'ils "s'éclipsent" (ces mots reviennent souvent). C'est au sens littéral que Malle va prendre ces mots : les apparitions, disparitions, clignotements et dédoublement sont foison dans le film.

Ces effets ont plusieurs fonctions :

- instaurer une temporalité surnaturelle rappelant le genre merveilleux (celui, justement, du conte ! Voir plus haut)

- afficher le caractère purement illusionniste du médium cinématographique, de la même manière que Queneau brise régulièrement l'illusion référentielle dans son livre (voir "étude sur Zazie dans le métro", sur mon site)

- rappeler les origines du cinéma : Georges Méliès, cinéaste français, né le 8 décembre 1861 et mort le 21 janvier 1938, est un réalisateur de films français. Il est connu pour les développements qu'il apporta aux techniques du cinéma, essentiellement des scénarios et des trucages. Il est considéré comme le père des effets spéciaux, le premier réalisateur, le créateur du premier studio de cinéma en France ainsi que l'un des premiers initiateurs du cinéma de divertissement (source)

Voici deux films (très courts, quelques minutes, comme tous ses films) qu'il a réalisés, en 1898 (!!!) et en 1909.


Louis Malle utilise souvent ces trucages : 


- 8:42 : effets stroboscopique sur Turandot qui s'emballe contre Zazie

- 10:08 : pendant le repas avec Gabriel, Zazie se situe à la fois à gauche et à droite de son oncle

- 11:41 : même scène. Zazie embrasse son oncle et disparaît de l'écran.

- 1:04:02 : Zazie apparaît à l'écran au moment où le cabaret Le Paradis prend feu.

- 1:07 : Albertine apparaît par intermittences, comme Turandot, autour du mannequin, quand Mado semble lui faire la cour.

- Pendant toute la séquence 24, celle de la poursuite entre Trouscaillon et Zazie, et que vous avez étudiée la dernière fois, on voit Zazie se dédoubler, trois fois.


2. bande visuelle et bande sonore décalées.

Question  9 :

Quel procédé très fréquent dans le film joue explicitement sur la temporalité ? Pensez notamment à la scène de la poursuite Trouscaillon / Zazie ? Répondez en deux ou trois lignes.


3. temps distordus, temps distendus

Question 10 :

- 33:15 à 33:25 : montrez que cet extrait reproduit exactement de qui semble se passer dans le roman. Trouvez l'extrait du roman (au chapitre 5) correspondant à cet extrait. Répondez en un paragraphe.

Question 11 :

49:53 à 50:28

Observez bien ce qui se passe à l'arrière plan. En quoi cette scène montre-t-elle que la si la chronologie est globalement respectée dans Zazie, ce n'est qu'une apparence ? En quoi montre-t-elle que règne dans Zazie une véritable "achronologie" ? Répondez en un paragraphe.


CONCLUSION :

Question 12 :

Que concluez-vous sur l'étude du traitement du temps dans Zazie dans le métro ? Répondez en quelques paragraphes.



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