Le monologue de Gabriel : fantaisie et intertextualité : corrigé

ETUDE DU MONOLOGUE DE GABRIEL

 

Ces réponses sont en très grande partie rédigées par Noémie, qui a fourni un travail assez excellent pour qu’il tienne lieu de corrigé. J’y ai ajouté deux réponses proposées par Inès et Marta. De nombreux éléments de réponses figurent à la page 86 du cours du CNED. Les propositions de Noémie sont plus complètes, cela dit.

 

1.    En quoi cette scène est-elle en décalage avec celle qui la précède ?

 

 

Cette scène est en décalage avec celle qui la précède parce que Gabriel montre la ville de Paris à Zazie de manière très enthousiaste. Nous pouvons percevoir une petite annonce de ce qui va se passer quand Gabriel dit « j'ai le vertige ». D'un coup ses lunettes tombent et le ton de sa voix change, il devient mélancolique et on pourrait même dire qu'il oubli où il se trouve. De plus dans la scène précédente nous entendons les bruits de la ville de fond tandis que quand Gabriel parle il y a une musique qu'on entend et qui éclipse tout le reste sauf sa voix. Nous avons l'impression qu'il est déstabilisé (le vertige), comme s'il savait plus où il était, pourtant juste avant il le savait très bien. Nous pourrions même affirmer qu'il perd lucidité, comme s'il était drogué. Il y a une rupture du rythme qui surprend le spectateur. Toute l'histoire se déroule très vite, chaotique et d'un coup tout ralenti. C'est impactant (frappant) et en même temps cela met en relief la parole de Gabriel.

 

Bonne réponse, complète et intéressante.

 

2.     Quelles sont les questions que se pose Gabriel ? Les thèmes abordés dans son monologue ? En quoi est-ce pertinent pour l’étude de l’œuvre ? 

Questions que se pose Gabriel:

-       des questions générales sur l’existence

-       les apparences → monde des rêves. Il répète 3 fois “le songe d'un rêve”

-       la brièveté de la vie. → Les Parisiens qui furent. Il reprend les mêmes verbes d'action qu'il a utilisé avant pour décrire ce qu’ils faisaient. En somme nous allons tous finir de la même manière, mort et rien ne peut l'éviter.

Le plan sur le trou que Gabriel évite, → peut signifier la fragilité de la vie. Il est toujours auprès de l’abîme → danger. “Moi je suis vivant”. Il se rend compte de sa condition. “Les voilà presque morts puisqu'ils sont des absent” cela peut vouloir dire qu’il se connaît lui-même et qu’il sait où il est mais par contre en ce qui concerne les autres (Marceline, Zazie et Charles), « là s'arrête mon savoir »il ne sait pas où ils sont, peut-être ils sont mort ou pas. Il n'a aucune certitude de leur condition. Il peut juste s’imaginer qu’ils sont vivant c’est le plus logique mais sans être 100% sûr.

 

Cela est important pour l'étude de l’œuvre car, nous pouvons comprendre les nombreux événements qui arrivent,  et qui parfois n'ont aucun sens, c'est à dire les situations qui se succèdent sans vraiment un ordre établi. Peut-être que ce qui est derrière tout cela est le destin. Il faut profiter du temps présent parce que la vie est éphémère. Le monde même est chaotique et il n'a pas un ordre concret tout comme la vie en soi et l’œuvre de Zazie qui plaque cette dynamique de « ce laisser aller ». Les dialogues ont peu de sens voire aucun et manquent de sens, le fond n’est pas important pour l’histoire.

 

Réflexions fines et intéressantes.

 

3.     Quel champ lexical domine dans ce passage ?

 

Le champ lexical qui revient dans cette scène est celui du mouvement : monter, descendre, aller, venir, disparaître, emmène, emporte, montèrent, descendirent, allèrent, vinrent, firent, disparurent, emmènent, remportent...sensation de va et vient → instable. (l'acteur semble instable dans tous les mouvements qu'il fait, sa manière de marcher …)

 

4.     Montrez que Queneau joue avec l’intertextualité (référence à d’autres textes)

 

-       Repérez la référence à l’Être et le néant de Jean-Paul Sartre, grand philosophe très écouté et respecté à l’époque de Queneau. Puis écoutez 3’40 de la lecture de l’Être et le néant de Sartre, ci-dessous : en quoi le roman de Queneau semble-t-il à des années lumières de ce que Sartre considère comme le rôle de l’écrivain ? 

 

 

Sartre considère que l’écrivain doit s’engager dans une lutte pour la liberté concrète, c’est à dire la volonté de vouloir changer les choses et de lutter pour les droits de l’humanité. Il qualifie le « vrai » écrivain comme étant le « gardien de la liberté ». Dans son roman Queneau ne semble pas vraiment avoir pour but la revendication ou la lutte pour obtenir quelque chose d’utile et de profitable aux hommes. Il se concentre sur des problèmes qui ne tourmentent que lui, ici le langage. À aucun moment du livre nous sentons une réelle volonté de s’engager pleinement dans un problème social par exemple. Sartre affirme que l’écrivain écrit en vue d’une cause, il cherche à ce que son œuvre réalise le désir de liberté, il ne faut pas « parler dans le désert » mais il faut être utile. Or en quoi Zazie est utile à l’humanité ? il est certain que même si Queneau veut une nouvelle langue française cela ne va pas vraiment changer car il est impossible de refaire toute une langue qui a mis des siècles et de siècle à s’affirmer. Peut-être que c’est son ambition mais elle ne va pas pour autant servir à quelque chose de vraiment utile.

 

Très bien. C'est effectivement ce que j'attendais.

 

-       Écoutez cette fameuse tirade de Hamlet, de Shakespeare (acte III, scène 1) : à quel moment, et comment le monologue de Gabriel y fait-il référence ?

 

 

Marta : Dès le début, le monologue de Gabriel fait allusion à la tirade de Hamlet. «to be or not to be, that is the question.», à la première ligne du monologue, Queneau transpose cette phrase sous «l'être et le néant, voilà le problème». Ensuite il parle de «mourir», «dormir», une opportunité pour rêver, une occasion de rêver. Le songe est placé avec la même importance dans le monologue de Gabriel.

Deux sont repris de l’œuvre de la Calderón de la Barca: la vie est un songe dans la mesure où G se demande si là où il habite est un rêve ou la réalité. Il y a toute une juxtaposition de ces deux thèmes chez les deux auteurs (Segismundo et Gabriel). Mais aussi avec le personnage féminin de Rosaura: elle apparaît au début du premier acte déguisée en homme : il s'agit d'un des sujets centraux chez Queneau: les déguisements, les apparences, les illusions, les mensonges… puis aussi c’est un écho du thème de l’ «homossésualité ».

 

 

-       Quel proverbe français bien connu est détourné par Gabriel quand il dit : "Tant fait l'homme qu'à la fin il disparaît" ?

 

Le proverbe français qui est détourné par Gabriel est : « tant va la cruche qu’à la fin elle se brise »

 

 

-       En quoi pouvez-vous rapprocher ce monologue, et le roman en général, de la Vie est un songe, de Pedro Calderón de la Barca ? Cela vous sautera aux yeux dès la lecture du résumé du premier acte.

 

 

Nous pouvons rapprocher ce monologue de La vie est un songe d'une part parce que Sigismond, le protagoniste n'arrive plus à distinguer la vraie vie et les rêves, il se trouve bouleversé et ne sait plus quand il rêve ou quand il ne rêve plus. Dans cette pièce de Calderón nous trouvons un monologue très connu qui peut nous rappeler à celui de Gabriel surtout par le thème qui est celui des apparences de la vie, du libre arbitre, en conclusion que la vie est un monde de masque que nous ne pouvons pas contrôler et parfois les choses que nous pensons ne sont pas telle que nous le croyons. De plus le travail de Gabriel consiste à ça en quelque sorte, il se déguise et joue un rôle, et en outre dans sa vraie vie il n’admet pas qui est homosexuel ce qui fait qu’il joue encore un autre rôle. Les personnes ni les situations sont comme nous le pensons. Les apparences sont toujours présentes et chacun d’entre nous voit le monde depuis son point de vue.

 

Très bien ! Le thème du travestissement, de la confusion des genres, est très présent dans l'oeuvre de Calderon.

 

 

-       À quels vers de la fameuse fable de La Fontaine Gabriel semble-il fait référence quand il dit : « Tant firent qu’à la fin ils disparurent ».

 

Lorsque Gabriel dit : « Tant firent qu’à la fin ils disparurent » peut faire référence aux vers « La chétive pécore s’enfla si bien qu’elle creva ». Tout le monde veut plus de ce qu’il a. Nous nous comparons souvent à celui qui est en dessus nous surtout en terme économique ou de condition sociale. Nous avons des ambitions et nous voulons nous donner des airs, de paraître plus que ce que nous sommes réellement et ce comportement fini par ce mettre contre nous, au point où nous nous « écrasons » et nous « disparaissons ».

 

Ha ha ha ! Je pense que cette citation cachée n'a pas plus de sens que cela. Elle est juste là pour affermir l'importance de l'intertextualité, du jeu des références littéraires cryptées qui plaît tant à Queneau. Louis Malle le fait aussi de son côté : il cite d'autres genres visuels, comme les cartoons de Tex Avery (Tom and Jerry) ou Charles Chaplin. C'est là une tentative de transposition d'un média (littérature) à un autre (cinéma), au sujet de l'intertextualité.

 

 

-       De quel essai de Montaigne cette phrase est-elle tirée : « Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de mort nulle nouvelle » ? Quelle phrase de Gabriel semble l’imiter ? Le titre de cet essai vous semble-t-il en rapport avec la scène ?

 

« Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de mort nulle nouvelle » se trouve dans « que philosopher, c’est apprendre à mourir » Essais de Montaigne. Le titre de cet essai peut effectivement être en rapport avec la scène parce que Gabriel parle de la vie, de la fragilité de celle-ci, il philosophe sur le sens de la vie. Il se rappelle de son passé et ensuite il parle des gens qui sont mort puis des personnes de son entourage qui, tout comme lui finiront mort. Pourtant il ne semble pas être choqué par cette idée il l’assume en quelque sorte et se rend compte que c’est le chemin que tout être humain va suivre. C’est un peu pessimiste de penser comme ça, d’ailleurs nous avons l’impression qu’il n’a pas fait grand-chose dans sa vie vu la manière dont il la décrit.

 

Oui, tout à fait. On ne voit pas vraiment le rapport. En fait, on peut se demander si toutes ces références littéraires et hautement cultivées ne sont pas gratuites, ne servent pas de clins d’oeil adressés au lecteur érudit, auquel Queneau pensait adresser son roman, avant qu'il se rende compté, étonné, qu'il s'agissait d'un succès populaire ! Très bonne tentative de réponse en tout cas !

 

 

5.     Montrez la coexistence de registres habituellement incompatibles.

 

 Cette question était un peu problématique, car quand on dit « registre », on peut aussi bien parler des registres de langue (familer, courant et soutenu) que des registres littéraires (c'était davantage là-dessus que je pensais vous interroger). Je complèterai donc cette réponse par celle d'Inès, qui a plutôt évoqué les registres littéraires.

 

Dans cette scène nous trouvons un mélange surprenant de registres. Gabriel parle dans un registre familier, surtout au début mais petit à petit il s’approprie un langage chaque fois plus soutenu. Habituellement nous ne parlons pas avec plusieurs registres, nous nous adaptons aux situations, par contre Gabriel ne semble pas vraiment se préoccuper de cela et utilise des mots de registres plus ou moins soutenue dans une même phrase, par exemple : « du taximan et de ma nièce suspendus à 300 mètres dans l’atmosphère » ou encore « j’ai la confession qui m’étrangle la pipe » de plus les verbes au passé simple donnent une impression de registre soutenu, cette dynamique est cassée par quelques mots comme « taximan » « pipe ».

 

Inès : Dans cette scène, plusieurs registres qui, à première vue semblent incompatibles, coexistent, le comique, celui de la situation, Gabriel faisant un discours sérieux, le tragique avec toutes les références à la mort, aux Hommes qui tournent en rond, et le mystique, car raconté ainsi ce discours paraît surréaliste, presque fantastique.

 

 

6.     En conclusion, montrez que ce passage illustre la définition de la "fantaisie verbale" selon Robert Garapon : « C’est […] le détournement du langage de son objet normal, utilitaire, qui est la signification et la communication, c’est essentiellement le fait de jouer avec les mots au lieu de s’en servir » (R. Garapon, La fantaisie verbale et le comique dans le théâtre français, p. 336).

Comme nous l’avons dit juste avant Gabriel joue sur l’utilisation des registres, de son côté, Queneau joue sur les mots en soit. Tout cela peut illustrer l’affirmation « fantaisie verbale » de Robert Garapon. Il n’y a pas une logique dans le discours, c’est-à-dire qu’il varie les registres sans que sa paraisse choquant il le fait d’une manière très naturelle. C’est une forme de langage inventé par Queneau, d’ici la « fantaisie ». Nous n’utilisons pas le même type de langage dans une situation formelle que dans une conversation normale de tous les jours.  Gabriel fusionne tous les registres en créant une nouvelle forme de langage qui ne s’occupe plus de s’adapter aux situations, si les mots existent c’est bien pour pouvoir les utiliser, pourquoi ne pas le faire ? Il est fort probable que Queneau veuille mettre en valeur le langage en utilisant le maximum de registres possible en insérant dans la même phrase des mots comme « racontouse » et des tournures comme «  je n’en ait point ».  De cette manière il peut utiliser une ample variété de mots.

 

 

 

7.     Comment Louis Malle rend-il le monologue de Gabriel le plus dynamique possible ? Pensez en termes techniques (cadrage, rythme, montage, etc), en terme de jeu d’acteur, et évoquez la bande son. Quels effets comiques sont ajoutés ? Quelle est la tonalité générale de la séquence ?

Louis Malle rend le monologue de Gabriel dynamique grâce au changement brusque de rythme, même si la musique est stridente et que Gabriel parle lentement cela casse la dynamique antérieure qui était très rapide. D’un autre côté l’acteur n’arrête pas de se promener partout sur la Tour Eiffel, il a un pas oscillant, on dirait qu’il va tomber d’un moment à l’autre et il s’approche vraiment du bord. Nous avons différents plans qui renfoncent ce dynamisme, par exemple le plan sur les pieds de Gabriel qui par hasard évite un gros trou fait que le spectateur est tenu en haleine. Au milieu du monologue, Malle introduit une scène où parlent Zazie et Charles en descendant les escaliers, cet étrange car nous avons l’impression qu’ils ne parlent pas au même rythme qu’ils descendent. Aussi il y a une accélération et les voix sont aussi accélérées ce qui demande plus d’attention pour bien comprendre ce qu’ils disent. Il y a des plans en  contre-plongée qui mettent en valeur le personnage en question.

 

 

Bilan (voir CNED)

 

Le roman Zazie dans le métro est marqué par une angoisse sous-jacente, celle du vide des conversations et du langage quotidiens, qui finissent par ne plus rien vouloir dire. Pour la contrer, Queneau propose de renouveler la langue – et par là-même la pensée–, en faisant de son roman un champ d’expérimentations diverses rendant aux mots leur liberté, et au lecteur un usage critique de la langue. Le texte romanesque et le film, dans leur recherche d’authenticité et de nouveauté stylistique, se présentent tous deux comme des fantaisies parfois presque oniriques, qui jouent « avec les mots au lieu de s’en servir » – ou avec les images dans le cas du film–, et qui contredisent toute tentative de prendre au sérieux l’œuvre, dont nous sommes au contraire invités à apprécier la dimension ludique. Queneau comme Malle contestent ainsi le traditionnel sérieux des genres littéraires ou cinématographiques consacrés, en le minant par la parodie, le jeu sur la langue ou l’image, et l’humour.

 

Rappelons ici la prière d’insérer du roman, qui à ce titre est assez claire :« L’auteur a mis en tête de cet ouvrage une épigraphe d’Aristote ; c’est donc qu’il doit y avoir une morale à tout cela. Mais le lecteur n’est pas forcé de s’en soucier, non plus que de chercher à résoudre des énigmes– d’ailleurs inexistantes ». Comment mieux décourager la volonté habituelle du lecteur de comprendre, de chercher le sens de l’œuvre? Queneau semble nous inviter à une lecture pour le plaisir, sans arrière-pensées savantes. Désorienter le lecteur et le critique, remettre en cause les réflexes habituels devant une œuvre littéraire, voilà la tâche qu’il semble s’être fixé, et qui invite à sortir des carcans intellectuels habituels pour mieux profiter de la liberté de l’art. Comme pouvait le dire le critique Mikhaïl Bakhtine au sujet de l’œuvre de Rabelais, Zazie est une « sorte de récréation des mots et des choses lâchées en liberté, délivrées de l’étreinte du sens, de la logique, de la hiérarchie verbale ».

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