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Marta



Charlie Chaplin a déclaré à Louis Malle, après avoir vu son film Zazie dans le métro : "Vous m'avez fait pleurer. C'est un merveilleux film. C'est exactement ce qu'il faut faire, prendre le biais du comique pour dénoncer notre monde qui va à la catastrophe."

I-               Le romancier et le cinéaste ont utilisé des formes variées de comique. Vous présenterez un épisode commun au roman et au film : les procédés du comique y sont-ils de même nature, produisent-ils les mêmes effets ?

 

Zazie dans le métro est un roman et un film des respectifs auteurs Raymond Queneau et Louis Malle où le personnage éponyme, c’est-à-dire la « mouflette », passe un séjour à Paris. Le romancier a voulu faire de son œuvre une critique du langage, et pour ce faire il ne s’est pas empêché d’introduire de l’humour. Le cinéaste l’a repris mais dans le but de transposer la critique au langage cinématographique. Dans ce sens, nous pouvons bien nous demander si dans un épisode commun comme celui du monologue d’un personnage clé dans l’histoire, Gabriel, les moyens de faire apparaître le comique se distinguent ou pas. Nous aborderons dans un premier temps les procédés de comique employés pour ensuite nous attacher aux effets produits pour chacune des deux œuvres.

L’épisode commun que l’on peut présenter est celui du monologue de Gabriel. Au chapitre 8 de l’œuvre de Queneau, ce « colosse » médite à l’égard de la vie et se pose des questions sur l’existence de l’être humain.

Nous pouvons signaler dans un premier temps que les procédés utilisés par le romancier sont de différente nature. Queneau joue sur le vocabulaire, les registres et l’orthographe des mots. Dans ce passage de la tirade métaphysique de Gabriel nous pouvons voire notamment :

La coexistence de registres habituellement incompatibles : Le romancier cherche à faire un mélange, surprenant aux yeux du lecteur, détonant de divers registres combinés avec virtuosité.  Le décalage est presque imperceptible car il est très ingénieusement fait. On trouve des termes familiers comme « taximane », voire parfois vulgaires et argotiques, qui voisinent avec des termes techniques, savants comme « dissolvent ». Ceci crée un comique d’incongruité : on présente une variété contrastée de types de langage.

En plus nous pouvons signaler l’emploi de divers registres littéraires : Queneau fait appel à la culture de son lecteur car, en concevant son œuvre, il la destinait à un public cultivé. Gabriel fait ici un discours sérieux : il réfléchit à des questions générales sur l’existence, aux apparences et à la brièveté de la vie (« Parisiens qui furent »). Ces questionnements sur l’ « être et le néant » sont ridiculisés par des expressions familières tel que « citrons empoilés ». Dans ce sens, nous assistons à un comique de situation qui se fond avec un registre tragique (avec toutes les références à la mort « tant firent qu’à la fin ils disparurent ») puis également, un discours teinté d’une allure mystique avec la répétition des mots « songe » et « rêve ».

Le comique est également présent à travers le propre discours. Le romancier emploi des registres croisés de manière naturelle et donc, même si la portée de l’énoncé n’a pas d’importance, c’est le langage en soit qui l’a. C’est d’ailleurs cette « fantaisie verbale » qui détermine l’auteur. Il invente un nouveau langage : il joue avec un ample variété de mots, sans chercher à les adapter à une situation. C’est la fantaisie qui est recherchée lorsqu’elle crée un effet de surprise. Il s’agit d’un effet stylistique : Queneau mène le lecteur à porter un nouveau regard sur les mots et son emploi.

Nous pouvons donc conclure que le lecteur est surpris par le vocabulaire savant employé tout à coup dans une situation qui ne s’y prête pas, et donc par la symbiose entre les différents registres. Nous verrons comment le cinéaste tente de transposer ces intentions du romancier.

 

Dans son œuvre, Louis Malle propose une adaptation reposant sur des procédés transposés à la critique cinématographique. Nous allons exposer la nature de ceux-ci en citant dernièrement les effets des équivalences choisies.

La contestation des principes classiques du cinéma est faite au moyen des gags, de situations comiques souvent incongrues, voire absurdes. Dans ce passage nous trouvons certaines.

Quand il commence à parler, les mouvements de l’acteur ralentissent, et le bruit de fond disparaît : il s’agit de mettre de relief son discours, de le teinter de sérieux.  En plus, nous avons l’impression qu’il se déstabilise : il a le vertige, il perd la notion de l’espace, il ne se retrouve plus. Nous pourrions même affirmer qu'il perd lucidité, comme s'il était drogué. On écoute sa voix comme s’il s’agissait d’un narrateur, et on voit l’acteur en scène. Ceci surprend le spectateur car c’est un juxtaposition au dialogue précédent avec Charles et Zazie.

Il y une remise en cause des formes établies du langage cinématographique : on joue avec les accélérés : les images veillent à montres que ce que l’on voit est de la fiction. L’espace du plan est exploité : dans cette séquence, Gabriel est centré dans le cadre mais ceci n’empêche pas le réalisateur de relayer parfois l’action principale à d’autres, secondaire. Le regard du spectateur est alors bouleversé, on distrait son attention. Par exemple : un couple de touristes qui passe et repasse. On peut signaler de même que le son ne correspond pas avec l’image. Il y a un décalage fait exprès pour déstabiliser le spectateur : on démonte les bases du cinéma car on dévoile ses techniques.

Finalement, nous pouvons souligner le fait que le regard du personnage se tourne vers la caméra : l’illusion du réel est momentanément rompue. Ces regards-caméra font participer les moyens techniques au dévoilement total : ce que l’on voit c’est du cinéma. Le spectateur est visé directement, et ceci est encore déstabilisateur pour lui.

On constate également des gags qui révèlent le comique subjacent : lors de son discours, à un moment donné, Gabriel se croise avec un ours polaire en haut de la Tour Eiffel, son mouchoir est pétrifié par le froid (le bruit le montre bien) puis sa voie devient plus faible et instable. Dans cette même dynamique, il croise un marin avec lequel il va être mouillé par un vague. Ceci est un autre gag comique qui n’a aucun sens, et rend la scène absurde.

 

Les deux auteurs contredisent toute tentative de prendre au sérieux l’œuvre, dont nous sommes au contraire invités à apprécier la dimension ludique. Leurs jeux sur le langage et l’image mettent en avant la parodie et l’absurdité propre au genre comique, et contestent ainsi le sérieux propre au traditionnel.

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