« Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce n'est pas un il quelconque, anonyme et translucide, simple sujet de l'action exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. (…) Enfin il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de l'aimer, de le haïr. (…) Notre monde, aujourd'hui, est moins sûr de lui-même, plus modeste peut-être puisqu'il a renoncé à la toute-puissance de la personne, mais plus ambitieux aussi puisqu'il regarde au-delà. Le culte exclusif de « l'humain » a fait place à une prise de conscience plus vaste, moins anthropocentriste. Le roman paraît chanceler, ayant perdu son meilleur soutien d'autrefois, le héros », déclare Alain Robbe-Grillet, dans Pour un nouveau roman, en 1963. 1. Dans quelle mesure peut-on dire que Zazie dans le métro est précurseur du Nouveau Roman ? (8 points)
2. Dans le numéro 114 des Cahiers du cinéma, le critique André Labarthe juge que si d’un côté « le texte, les mots, sont le tout du roman, (…) (de l’autre) le langage cinématographique, sa technique sont débordés par un résidu réaliste de l’image, qui renvoie nécessairement à un référent, personne ou objet, qui a dû exister pour impressionner la pellicule ». Le personnage de Zazie, dans le film de Louis Malle, vous paraît-il traité de la même manière que dans le livre de Queneau ? (12 points)
Le Nouveau Roman est un mouvement littéraire qui se développe au XXème siècle par différents écrivains comme Raymond Queneau, Claude Simon, Alain Robbe-Grillet ou Jean Ricardou. Son but est d’obtenir un renouvellement du monde romanesque qui s’oppose complètement au style du roman conventionnel. L’extravagance et l’étrangeté sont des caractéristiques primordiales de ce mouvement. L’absurdité des discours des personnages et l’ambiguïté de leur personnalité définit l’anomalie de ce roman. Alain Robbe-Grillet se focalise sur la description du personnage du Nouveau Roman qui se caractérise par le fait de se situer hors des traitements conventionnels. Ce mouvement renverse les prototypes normalement appliqués aux personnages du roman traditionnel. Par convention, dans le roman classique, les personnages sont dotés d’un nom et d’un prénom qui les identifie. L’auteur classique fait une description exhaustive de ceux ci en racontant son passé et en définissant en détail son caractère (toujours en concordance avec leur aspect physique). Comme le dit Robbe-Grillet « C’était quelque chose d’avoir un visage dans un univers où la personnalité représentait à la fois le moyen et la fin de toute recherche. ». La connaissance si concrète du personnage permet au lecteur de porter un jugement sur celui-ci. Dans la tradition, le roman fait le culte de l’humain veillant à prôner le réalisme du même en rapport avec la société dans laquelle il vit. Le Nouveau Roman par contre renverse tous ces clichés. Après cette présentation des différences entre le roman conventionnel et le Nouveau Roman nous pouvons nous demander dans quelle mesure on peut dire que Zazie dans le métro est précurseur du Nouveau Roman ? Le roman écrit par Queneau pourrait être considéré comme l’un des modèles de ce mouvement particulier. Lors de cette analyse nous allons nous concentrer sur le cas particulier du personnage du Nouveau Roman, donc sur la singularité de ceux-ci et des actions qu’ils entreprennent. Dans le roman de Queneau on ne connaît pas les noms des personnages, uniquement leurs prénoms dont la majorité pourrait être identifiés comme hors du commun. Un exemple de ceci est le prénom de la serveuse du restaurant qui s’appelle Mado Ptits pieds. Les prénoms plus courants comme Gabriel ou Marceline coïncident paradoxalement avec les personnages les plus extravagants et complexes puisqu’ils restent très ambigus au lecteur et portent à mener une réflexion plus approfondie sur eux. De même on déduit à travers la lecture du livre que le caractère, la personnalité des personnages nous restent inconnu. Le lecteur ne peut pas porter un jugement sur eux (les aimer, les haïr) à cause de l’absurdité de leurs actions qui normalement sont le socle qui détermine leur façon d’être. Les discours (comme celui de Gabriel dans la Tour Eiffel) banalisent l’irrationnel et laissent place à l’incompréhension du lecteur. D’une certaine manière Queneau renverse à travers ces personnages toutes les normes imposées par la société, plus particulièrement les normes de civilité nous pouvons l’observer par exemple lorsque Trouscaillon tue la veuve Mouaque. La poétique quenaldienne cherche à inventer un nouveau français se basant sur la pratique orale. Ceci fait que l’auteur se base sur la forme des mots et non pas sur leur fond, leur signification. Dans la majorité des cas les personnages parlent de manière familière même abrupte mais dans certains cas ils se lancent dans des discours prétendant être philosophiques mais qui manquent de cohérence. L’auteur utilise tous les moyens possibles pour se distinguer des conventions sociales. Un exemple de ceci est la profession de Gabriel (il travaille dans un cabaret en se travestissant). Après ces précisions il faut tenir en compte le fait que l’auteur ne cherche pas à faire une critique de la société. On constate simplement le fait qu’il y a des différences notables entre la réalité de l’époque et celle du roman, c’est à dire, la différence du point de vue des personnages du roman et celles des gens réelles pendant l’époque de grande influence américaine qui vit la France au XXème siècle. L’écrivain ne reconnaît qu’un engagement : la littérature et le renouvellement de celle-ci. Les personnages peuvent se considérer comme vide de personnalité, on ne connaît pas leurs intentions, leurs projets, sauf celui de Zazie qui est très simple, elle veut exercer un métier dans lequel elle ais suffisamment de responsabilité pour pouvoir nuire les autres. De même on n’a aucune information sur leur passé, la généalogie des personnages est inconnue pour le lecteur. Le seul personnage qui parle de son passé est Zazie et lorsqu’elle raconte son histoire nous la trouvons invraisemblable puisqu’elle prend la forme d’un film de terreur. Une des singularités qui caractérise le roman apparaît à travers la duplicité du personnage de Marceline. Tout au long du roman nous sommes convaincus qu’elle est une femme mais au dernier moment sa véritable identité est révélée ce qui provoque un choc chez le lecteur (« Au revoir monsieur »). Grâce à cet événement l’homosexualité de Gabriel, thème repris tout au long de l’œuvre par Zazie se clarifie. En conclusion, nous pouvons affirmer que Zazie dans le métro illustre à la perfection toutes les caractéristiques du Nouveau Roman, surtout par rapport à la vision du personnage. Il existe de même un parallèle entre ce mouvement innovateur et le mouvement cinématographique de la Nouvelle Vague.
Cette première question est tout à fait en relation avec la deuxième par le moyen de l’étude du personnage. Dans ce cas nous allons porter une vision concrète sur le personnage de Zazie en se demandant : Le cinéma est-il capable de rendre compte d’un personnage tel que celui de Zazie sans trahir le roman? Lorsque nous lisons Zazie dans le métro nous savons qu’on parle d’une petite fille (d’un enfant) mais on n’est pas capable de déterminer son âge exact (« La ptite » « mouflette »). De plus son aspect physique est totalement inconnu, rendant compte des caractéristiques propres des personnages proposés par le Nouveau Roman. Louis Malle a était obligé de prendre de décisions qui déterminent le personnage de Zazie tel que nous le voyons dans le film, il nous propose sa propre vision de la fillette. L’expressivité ainsi que sa personnalité sont vides et abscons tout comme celle des autres personnages. Malle a interprété le personnage de Zazie et c’est cette interprétation particulière, subjective et personnelle qu’il nous propose. C'est-à-dire pourquoi des cheveux bruns ? Ou pourquoi doit-elle être habillée avec un t-shirt orange ? Tout cela traduit le point de vue du réalisateur. Cette vision peut ou pas être en accord avec ce que nous espérions mais Queneau n’offre dans le roman aucune de ces précisions. L’auteur du livre nous forme à travers les actes du personnage (mauvais langage, fuites constantes..) une perception de son comportement. Malgré cela il ne nous propose pas une description exhaustive de celui-ci. Ceci peut être considéré comme une ressource d’invention que nous offre l’auteur afin de construire nous-mêmes comme lecteurs la vision qu’on désire de Zazie. C’est une liberté de création dont le lecteur est le destinataire. Une des caractéristiques tant du film que du roman se base sur le fait qu’on ne peut pas (comme lecteur) se sentir identifié avec aucun des personnages puisque la singularité qui dérive d’eux ne peut être comparable avec aucune des caractéristiques propres à une personne dans la vie courante ou du roman conventionnel. Le cinéaste Louis Malle nous propose un visage de Zazie mais ne cherche pas non plus à nous proposer une description de son caractère qu’on puisse juger. La transposition de Zazie du roman au film reste très similaire. Comme le dit le critique André Labarthe dans le numéro 114 des Cahiers du cinéma « si d’un côté le texte, les mots, sont le tout du roman de l’autre le langage cinématographique et sa technique sont débordés par un résidu réaliste de l’image qui renvoie à une personne qui a dû exister pour impressionner la pellicule. ».Queneau à travers les paroles de Zazie nous la présente d’une certaine manière, mais on ne sait pas une vision de celle-ci. Malle est donc la personne chargée d’offrir une image de cette fille si extravagante qui apparaît dans le roman. Avec le langage cinématographique on donne du réalisme à un personnage irrationnel comme celui de Zazie. Les mots prononcés par Zazie sont transmis de manière exacte au film. C’est l’expressivité du visage de celle-ci qui marque la différence par exemple son sourire propre d’un personnage picaresque. En conclusion on peut dire que Louis Malle a rendu compte correctement du personnage de Zazie sans trahir le roman puisque l’anomalie du personnage reste prise en compte ; il met uniquement au point l’apparence physique de celle-ci s’approchant à l’image qu’on pourrait se faire d’elle par rapport à sa conduite. |
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