Sujet de bac 8 - Question sur corpus et dissertation - la poésie


EAF BLANCHE

LUNDI 16 DECEMBRE 2013

4 HEURES

CEINTURE NOIRE

 

L’UTILISATION DE LA CALCULATRICE EST INTERDITE

 

Objet d'étude : Écriture poétique et quête de sens du Moyen âge à nos jours

 

Problématique : La nuit.

 

Corpus :

Alfred de Musset, « La Nuit de Mai », Poésies nouvelles, 1835

Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, III, VII, 1842

Guillaume Apollinaire, « Nuit rhénane », Alcools, 1913.

Jacques Roubaud, « Nuit sans date rue Saint-Jacques », La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, 2006.

 

Travaux d’écriture :

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante [4 points]

Comment l'inspiration poétique est-elle favorisée par l'atmosphère nocturne dans les quatre poèmes ?

 

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants [16 points] :

Commentaire

Vous commenterez le texte de Guillaume Apollinaire.

 

Dissertation

Selon vous, qu'est-ce qui peut inspirer le poète ?

Vous vous appuierez sur les textes du corpus et sur vos connaissances personnelles pour répondre à cette question.

 

Invention

À l’occasion d’un concours d’écriture, vous choisissez d’évoquer un endroit qui vous paraît propice à l'inspiration et à la création poétiques (lieu, paysage, objet...). Votre texte ne sera pas nécessairement versifié, et se nourrira d'images, d'effets sonores, de figures de construction, etc.

 

 


 

Alfred de Musset, « La Nuit de Mai », Poésies nouvelles, 1835

[Cette poésie, qui fait suite à la rupture sentimentale entre Musset et George Sand, femme de lettres, prend la forme d'un dialogue entre le poète et sa Muse.]

 

                             LA NUIT DE MAI

 

                      LA MUSE[1]

Poète, prends ton luth[2] et me donne un baiser ;

La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore,

Le printemps naît ce soir ; les vents vont s'embraser ;

Et la bergeronnette[3], en attendant l'aurore,

Aux premiers buissons verts commence à se poser.

Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

 

                       LE POÈTE

Comme il fait noir dans la vallée !

J'ai cru qu'une forme voilée

Flottait là-bas sur la forêt.

Elle sortait de la prairie ;

Son pied rasait l'herbe fleurie ;

C'est une étrange rêverie ;

Elle s'efface et disparaît.

 

                       LA MUSE

Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,

Balance le zéphyr[4] dans son voile odorant.

La rose, vierge encor, se referme jalouse

Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.

Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.

Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée[5]

Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.

Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature

Se remplit de parfums, d'amour et de murmure,

Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

 

                      LE POÈTE

Pourquoi mon cœur bat-il si vite ?

Qu'ai-je donc en moi qui s'agite

Dont je me sens épouvanté ?

Ne frappe-t-on pas à ma porte ?

Pourquoi ma lampe à demi morte

M'éblouit-elle de clarté ?

Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.

Qui vient ? qui m'appelle ? — Personne.

Je suis seul : c'est l'heure qui sonne ;

Ô solitude ! Ô pauvreté !

 

                     LA MUSE

Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse

Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.

Mon sein est inquiet ; la volupté l'oppresse,

Et les vents altérés[6] m'ont mis la lèvre en feu.

Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle.

Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas,

Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,

Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ?

Ah ! je t'ai consolé d'une amère souffrance !

Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d'amour.

Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance :

J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour. [...]

 

1. « Muse » : divinité traditionnelle, inspiratrice du poète dans la mythologie grecque.

2. « luth » : instrument de musique à cordes pincées, symbole de l'Inspiration en poésie.

3. « bergeronnette » : petit oiseau.

4. « zéphir » : vent doux et agréable.

5. « ramée » : ensemble des branches feuillues d'un arbre.

6. « altérés » : qui excitent la soif.

 

 

 

Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, III, VII, 1842

[Aloysius Bertrand est un poète romantique, auteur d'un recueil de poèmes en prose, Gaspard de la Nuit. Dans le livre III, il décrit un univers fantastique.]

 

UN RÊVE

« J'ai rêvé tant et plus, mais je n'y entends note ». Pantagruel, livre III.

 

   Il était nuit. Ce furent d'abord, — ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, — une abbaye aux murailles lézardées par la lune, — une forêt percée de sentiers tortueux, — et le Morimont1 grouillant de capes et de chapeaux.

  Ce furent ensuite, — ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, — le glas2 funèbre d'une cloche, auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, — des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d'une ramée, — et les prières bourdonnantes des pénitents noirs3 qui accompagnaient un criminel au supplice.

  Ce furent enfin, — ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte, — un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, — une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d'un chêne, — et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue4.

  Dom Augustin, le prieur5 défunt, aura, en habit de cordelier6, les honneurs de la chapelle ardente, et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d'innocence, entre quatre cierges de cire.

  Mais moi, la barre du bourreau s'était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s'étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s'était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, — et je poursuivais d'autres songes vers le réveil.

 

1. « Morimont » : « c'est à Dijon, de temps immémorial, la place aux exécutions. » (Note du poète).

2. « glas » : tintement lent et grave d'une cloche d'église pour annoncer l'agonie, la mort ou les obsèques de quelqu'un.

3. « pénitents noirs » : membres d'une confrérie religieuse, habillés de noir, s'imposant volontairement des punitions dans l'intention de réparer leurs fautes.

4. « roue » : instrument de supplice sur lequel on attachait la victime avant de lui briser les membres avec une barre.

5. « prieur » : celui qui dirige un couvent.

6. « cordelier » : religieux qui porte pour ceinture une corde à trois nœuds.

 

 Guillaume Apollinaire, « Nuit rhénane », Alcools, 1913.

[Dans ce poème, Apollinaire s'inspire des paysages et des légendes de la vallée du Rhin, en Allemagne.]

 

                    NUIT RHÉNANE1

 

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme

Écoutez la chanson lente d'un batelier2

Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes

Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

 

Debout chantez plus haut en dansant une ronde

Que je n'entende plus le chant du batelier

Et mettez près de moi toutes les filles blondes

Au regard immobile aux nattes repliées

 

Le Rhin Le Rhin est ivre où les vignes se mirent

Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter

La voix chante toujours à en râle-mourir3

Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été

 

 

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

 

1. « rhénane » : relatif au Rhin, fleuve commun à l'Allemagne et à la France.

2. « batelier » : homme qui conduit un bateau.

3. « râle » : respiration bruyante et difficile de celui qui va mourir.

 

Jacques Roubaud, « Nuit sans date rue Saint-Jacques », La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, 2006.

[Le poète Jacques Roubaud est membre de l'OuLiPo. L'OuLiPo est un groupe de poètes contemporains qui recherchent le jeu sur les mots et les contraintes qui favorisent la création poétique.]

 

             Nuit sans date rue Saint-Jacques

 

La rue tombe noire, noire, la noire rue noire tombe là.

La rue tombe noire, noire, la tombe noire, rue noire, là.

La rue tombe noire, noire, tombe la noire rue noire, là.

La rue, tombe noire, noire, rue noire, la tombe noire, là.

La rue tombe noire, rue noire noire, là, tombe noire, là.

La rue tombe noire, la noire noire rue, noire tombe là.

La rue tombe noire la noire noire rue noire tombe, là.

La rue tombe, noire, noire, là ; tombe noire, rue noire, là.

La rue, tombe, là. Noire, noire tombe, noire rue, noire là.

La rue noire tombe ; noire la noire, noire rue-tombe ; là.

La rue tombe. La noire rue noire. Noire tombe noire. Là.

 

 

 

 

 





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