Sujet de bac 2 - question de corpus - le roman et ses personnages

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Copie d'une élève :

Question sur corpus

 

    D'après Stendhal ,“un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route”. Dans ces textes extraits successivement de Thérèse Desqueyroux, Une vie  et Thérèse Raquin, c'est plutôt le deuxième point de cette célèbre citation qui est mis en valeur par Mauriac, Maupassant et Zola.

    Nous étudierons en quoi ces textes, en plus d'appartenir tous trois au genre du roman connu pour représenter le monde tel qu'il est, ont de nombreux points communs.

    Nous nous pencherons dans un premier temps sur l'usage du roman comme genre le plus approprié à la situation des trois femmes, puis nous analyserons dans un deuxième et dernier temps la vision similaire que Thérèse Desqueyroux, Jeanne de Lamare et Thérèse Raquin ont de leur entourage et de la vie en générale, due à leurs sentiments très rapprochés.

 

 

    Le roman est un genre qui permet et a toujours permis de créer un lien entre le personnage principal et le lecteur afin que ce dernier soit au courant des sentiments les plus intimes du protagoniste. Ici, nos trois auteurs emploient à plusieurs reprises un point de vue interne pour nous retranscrire les sentiments exacts des femmes mariées. Leur but dans ces textes est de rapprocher le plus possible le lecteur de ces femmes afin qu'il se placent dans leur peau et tentent de les comprendre, appelant l’utilisation d’un registre plus ou moins pathétique.

    Dans le cas de Thérèse Desqueyroux, Mauriac emploie le point de vue interne pour reporter les sentiments d'exaspération, de rejet et de haine envers le mari qui lui semble si étranger: “Ah! L'écarter une fois pour toutes et à jamais! Le précipiter hors du lit, dans les ténèbres.”(lignes 7-8). Quant à Jeanne, le lecteur découvre à travers le point de vue interne employé des sentiments de désillusion et d'ennui: “Alors elle s'aperçut qu'elle n'avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire”(ligne 1), “Elle sentait tout cela vaguement à une certaine désillusion, à un affaissement de ses rêves.”(lignes 9-10). Enfin, dans Thérèse Raquin, ce sont des sentiments de dégoût et d'indifférence qui prédominent dans les pensées de la jeune femme, envers son mari et ses supposés amis: “Toutes ces têtes-là l'exaspéraient. Elle allait de l'une à l'autre avec des dégoûts profonds, des irritations sourdes.”(lignes 7-8)

    Le roman permet donc de mettre en valeur, à partir d'un point de vue interne employé dans ces trois cas, des sentiments d'ennui, de désespoir et de dégoût envers leur mari, la plupart dû à une désillusion profonde. Mais en quoi les descriptions que font ces héroïnes caractérisent-elles justement leur changement de vie, devenue insignifiante?

    Les sentiments de ces femmes se retrouvent également dans les descriptions de leur vie et de ce qui les entoure.

Le personnage de Thérèse semble déshumaniser son mari («chair» , ligne 5) en le désignant à l'aide de déterminants démonstratifs tels que «cet» pour insister sur l'écart entre son mari et elle («ce corps» , ligne 4) et de formes plutôt impersonnelles («cet homme immobile», ligne 11 ) qui pourtant désignent l'homme avec qui elle est mariée. De plus, avec la métonymie «ce désert de bitume» (ligne 25) qui connote la ville, Thérèse Desqueyroux semble se demander ce qu'elle fait à Paris, et exprimer le désir de s'évader vers un autre monde où elle n'aurait pas à envier le bonheur aux autres («mais cette petite idiote, la-bas, à Saint‐Clair, qui croyait le bonheur possible, il fallait qu'elle sût, comme Thérèse, que le bonheur n'existe pas.”, lignes 28-29)

    Dans le texte extrait d' Une vie, Jeanne compare les feuilles et donc la nature à ses sentiments: Lorsqu'elle était pleine d'espoir et d'amour, elle percevait la nature gaie (“la gaité ensoleillée des feuilles” ligne 14) et lorsque ses illusions et rêves disparaissent et sont remplacés par l'ennui et la tristesse, la nature aussi : “Et cette griserie de l'air chargé de vie, d'arômes, d'atomes fécondants n'existait plus.” (lignes 16-17) ”comme une pluie incessante et triste à faire pleurer, ces dernières feuilles (…) se détachaient, tournoyaient, voltigeaient et tombaient.” (ligne 21-22-23). On peut remarquer la présence claire du champs lexical de l'automne, saison qui connote souvent la tristesse, la monotonie, et surtout, la mort : “averses d'automne” “ feuilles mortes” “peupliers presque nus”, “branches grêles” “feuillage prêt à s'égrener” (lignes 18-19-20-21). Jeanne ne perçoit plus que tristesse et ennui dans le paysage réaliste qu'elle observe, caractéristiques de ses propres sentiments.

En ce qui concerne le texte de Zola, celui-ci emploie lui aussi le champ lexical de la mort lorsqu'il décrit les personnages que Thérèse observe avec répulsion: “faces mortes de vieillard” (ligne 9)  “ces créatures grotesques et sinistres” (ligne 13) ,“pas un être vivant”(ligne 13), “en compagnie de cadavres mécaniques” (lignes 14-15). Ses descriptions sont propres au naturalisme et font ressortir à travers des figures de style telles que l'hyperbole (“ dont les os perçaient les joues” ligne 10) ou la métaphore (“les lueurs jaunâtres de la lampe la pénétraient d'un vague effroi, d'une angoisse inexprimable” lignes 16-17) la laideur des personnages qui semblent tous pâles et froids, ennuyeux et agaçants.

 

    Comme nous l'avons donc montré, nos héroïnes nous transmettent, quel que soit le mouvement littéraire dont relève chacun des romans, les mêmes sentiments de tristesse et d'ennui d'une vie peu excitante pour laquelle elles s'étaient fait trop d'illusions auparavant. Le point de vue interne adopté à de nombreuses reprises par Mauriac, Maupassant et Zola ainsi que les divers procédés qu'ils emploient, leur permettent d'exprimer de la manière la plus précise en quoi consiste  la vie de femmes mariées qui ne connaissent pas le bonheur ni l'amour. Mais nos trois protagonistes ne seraient-elles pas surtout victimes d'un état d'insatisfaction caractérisé par des ambitions vaines, frustrations et désillusions que nous nommons aujourd'hui “bovarysme”? Son inventeur, Flaubert, n'avait-il pas sans le vouloir créé un nouveau mouvement presque épidémique qui pourrait expliquer la passivité et la désespérance de nos jeunes femmes?

 

18/20

 

Excellent travail.

Attention, le « bovarysme » n’est pas un mouvement, mais une sorte de désarroi provenant de l’insatisfaction des femmes dans leur vie de couple, d’autant plus flagrant qu’il est accentué par des aspirations liées à la passion pour les histoires romanesques.

Tu as tout compris de l’exercice, et des textes. Quelques aspects manquent à ton travail cependant, mais tu les combles assez largement par tes propres observations. Voici le corrigé succinct que je propose à la classe :



 

Corrigé

 

Il ne fallait surtout pas tomber dans l’erreur qui consistait à chercher des points communs dans le style des auteurs seulement : la question portait explicitement sur les points communs entre ces trois personnages !

Bien sûr, pour illustrer cette réponse, il fallait chercher les procédés utilisés par les auteurs. Mais il fallait trouver des axes qui regroupent des points communs des trois femmes, comme ceci, par exemple :

1. Des femmes en proie à leur pensée

-       point de vue (focalisation) interne non omniscient !!! Vous trouverez des explications sur cette notion dans mon site : « notions à maîtriser », puis « le roman », puis « les focalisations », c’est-à-dire ici.

-       discours indirect libre (voir ici)

-            « D'une   main   brutale   et   qui   pourtant   ne   l'éveilla   pas,   de   nouveau   elle   l'écarta...   Ah   ! l'écarter… » (Mauriac).

-            « Oui, c’était fini d’attendre » (Maupassant).

2. Des femmes qui s’ennuient, prisonnières de leur rôle d’observatrice

-       importance de la description (imparfait descriptif)

-       verbes de perception : auditive, visuelle (passive : « observer », « regardait »…), olfactive (« odeur végétale »…)…

-       champ lexical de l’ennui et de l’inactivité et de la désillusion.

-        

3. Des femmes prises de pensées morbides

-       champ lexical du dégoût (dont la suffixation péjorative en –âtre, chez Zola)…

-       …qui mène au champ lexical de la mort, mené par exemple par les descriptions automnales chez Maupassant, et les descriptions grotesques des invités chez Zola


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Johann TRUMEL,
13 févr. 2013, 05:24
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