Objet d'étude :
Convaincre, persuader, délibérer.
Textes :
Texte A : Clément MAROT,
Épître au Roy, 1527
Texte B : VOLTAIRE, Traité sur la tolérance, 1763
Texte C : Albert CAMUS, L'Étranger, 1942.
Texte A : Clément MAROT, Épître au Roy, 152.
[Encore une fois emprisonné pour avoir tenté de délivrer un prisonnier,
Marot, poète de la cour, s'adresse au roi François 1er; son protecteur, afin
d'obtenir sa libération.]
Au roi, « pour le délivrer de prison ».
Roi des Français, plein de toutes bontés,
Quinze jours a1, je les ai bien comptés,
Et dès demain seront justement seize,
Que je fus fait confrère au diocèse
De Saint-Marry, en l'église Saint-Pris2.
Si3 vous dirai comment je fus surpris,
Et me déplaît qu'il faut que je le die4.
Trois grands pendards5 vinrent à l'étourdie7
En ce palais me dire en désarroi7 :
« Nous vous faisons prisonnier, par le Roi.»
Incontinent8, qui fut bien étonné ?
Ce fut Marot, plus que s'il eût tonné.
Puis m'ont montré un parchemin écrit,
Où n'y avait seul mot de Jésus-Christ :
II ne parlait tout que de plaiderie,
De conseillers et d'emprisonnerie.
« Vous souvient-il, ce me dirent-ils lors,
Que vous étiez l'autre jour là-dehors,
Qu'on recourut9 un certain prisonnier
Entre nos mains ? » Et moi de le nier !
Car, soyez sûr, si j'eusse dit oui,
Que le plus sourd d'entre eux m'eût bien ouï,
Et d'autre part, j'eusse publiquement
Eté menteur : car, pourquoi et comment
Eussé-je pu un autre recourir,
Quand je n'ai su moi-même secourir ?
Pour faire court, je ne sus tant prêcher
Que ces gaillards me voulsissent lâcher10.
Sur mes deux bras ils ont la main posée,
Et m'ont mené ainsi qu'une épousée,
Non pas ainsi, mais plus raide un petit11.
Et toutefois j'ai plus grand appétit
De pardonner à leur folle fureur
Qu'à celle-là de mon beau procureur12 :
Que male mort les deux jambes lui casse !
II a bien pris de moi une bécasse,
Une perdrix, et un levraut aussi,
Et toutefois je suis encore ici !
Encor je crois, si j'en envoyais plus,
Qu'il le prendrait. [...]
Si vous supplie, Sire, mander13 par lettre,
Qu'en liberté ces gens me veuillent mettre;
Très humblement requérant votre grâce
De pardonner à ma trop grande audace
D'avoir empris14 ce sot écrit vous faire;
Et m'excusez, si pour le mien affaire
Je ne suis point vers vous allé parler :
Je n'ai pas eu le loisir d'y aller.
1. a : il y a.
2. vers 4 et 5 : « que je fus fait confrère au diocèse de Saint-Marry, en
l'église Saint-Pris » : Marot file une métaphore où l'église de Saint-Pris
signifie la prison.
3. si : donc.
4. die : dise.
5. pendards : désigne les sergents.
6. à l'étourdie : sans réfléchir.
7. désarroi : confusion.
8. incontinent : immédiatement.
9. Qu'on recourut : « lorsqu'on tenta de délivrer ».
10. vers 27 et 28 : « En résumé, je n'ai pas su par mes paroles obtenir que
ces gaillards veuillent me lâcher ».
11. plus raide un petit : un peu plus rudement.
12. procureur : il s'agit ici de son avocat.
13. « Aussi je vous supplie, Sire, de demander. »
14. empris : entrepris.
Texte B : VOLTAIRE, Traité sur la tolérance,
1763.
[Le 12 octobre 1761, on découvre Marc-Antoine
Calas pendu dans le magasin de son père Jean Calas, un négociant
protestant. Ce dernier est accusé d'avoir tué son fils pour l'empêcher
de se convertir au catholicisme, seule religion autorisée alors. Jean
Calas est condamné à mort et roué. Voltaire entreprend de réhabiliter sa
mémoire.]
Il paraissait impossible que Jean
Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis longtemps les
jambes enflées et faibles, eût seul étranglé et pendu un fils âgé de
vingt-huit ans, qui était d'une force au-dessus de l'ordinaire ; il
fallait absolument qu'il eût été assisté dans cette exécution par sa
femme, par son fils Pierre Calas, par Lavaisse1 et par la servante. Ils ne
s'étaient pas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure.
Mais cette supposition était encore aussi absurde que l'autre : car
comment une servante zélée catholique aurait-elle pu souffrir que des
huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir
d'aimer la religion de cette servante ? Comment Lavaisse serait-il venu
exprès de Bordeaux pour étrangler son ami dont il ignorait la conversion
prétendue ? Comment une mère tendre aurait-elle mis les mains sur son fils
? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi
robuste qu'eux tous, sans un combat long et violent, sans des cris affreux
qui auraient appelé tout le voisinage, sans des coups réitérés, sans des
meurtrissures, sans des habits déchirés ?
Il était évident que, si le parricide avait pu être commis, tous les
accusés étaient également coupables, parce qu'ils ne s'étaient pas quittés
d'un moment ; il était évident qu'ils ne l'étaient pas ; il était évident
que le père seul ne pouvait l'être ; et cependant l'arrêt condamna ce père
seul à expirer sur la roue.
Le motif de l'arrêt était aussi inconcevable que tout le reste. Les juges
qui étaient décidés pour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres
que ce vieillard faible ne pourrait résister aux tourments, et qu'il
avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de ses
complices. Ils furent confondus, quand ce vieillard, en mourant sur la
roue, prit Dieu à témoin de son innocence, et le conjura de pardonner à
ses juges.
Ils furent obligés de rendre un second arrêt contradictoire
avec le premier, d'élargir2 la mère, son fils Pierre, le jeune Lavaisse,
et la servante; mais un des conseillers leur ayant fait sentir que cet
arrêt démentait l'autre, qu'ils se condamnaient eux-mêmes, que tous les
accusés ayant toujours été ensemble dans le temps qu'on supposait le
parricide, l'élargissement de tous les survivants prouvait invinciblement
l'innocence du père de famille exécuté, ils prirent alors le parti de
bannir Pierre Calas, son fils. Ce bannissement semblait aussi inconséquent,
aussi absurde que tout le reste : car Pierre Calas était coupable ou
innocent du parricide; s'il était coupable, il fallait le rouer comme son
père; s'il était innocent, il ne fallait pas le bannir. Mais les juges,
effrayés du supplice du père et de la piété attendrissante avec laquelle
il était mort, imaginèrent de sauver leur honneur en laissant croire qu'ils
faisaient grâce au fils, comme si ce n'eût pas été une prévarication3
nouvelle de faire grâce; et ils crurent que le bannissement de ce jeune
homme pauvre et sans appui, étant sans conséquence, n'était pas une grande
injustice, après celle qu'ils avaient eu le malheur de commettre.
1. Lavaisse ; ami du fils.
2. élargir : libérer, relaxer; élargissement = mise en liberté.
3. prévarication : acte de mauvaise foi, manquement aux devoirs d'une
charge.
Texte C : Albert CAMUS, L'Étranger, 1942.
[Sur une plage écrasée de soleil, Meursault a tué
un homme ; acte nullement prémédité, conséquence d'une succession de hasards.
Le personnage de ce roman va se trouver pris dans l'engrenage judiciaire.]
Et j'ai essayé d'écouter encore parce que le
procureur1 s'est mis à parler de mon âme.
Il disait qu'il s'était penché sur elle et qu'il n'avait rien trouvé,
messieurs les jurés2. Il disait qu'à la vérité, je n'en avais point, d'âme, et
que rien d'humain, et pas un des principes moraux qui gardent le cœur des
hommes ne m'était accessible. « Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le
lui reprocher. Ce qu'il ne saurait acquérir, nous ne pouvons nous plaindre
qu'il en manque. Mais quand il s'agit de cette cour, la vertu toute négative
de la tolérance doit se muer en celle, moins facile, mais plus élevée, de la
justice. Surtout lorsque le vide du cœur tel qu'on le découvre chez cet homme
devient un gouffre où la société peut succomber. » C'est alors qu'il a parlé
de mon attitude envers Maman3. Il a répété ce qu'il avait
dit pendant les
débats. Mais il a été beaucoup plus long que lorsqu'il parlait de mon
crime, si long même que, finalement, je n'ai plu senti que la chaleur de
cette
matinée. Jusqu'au moment, du moins, où l'avocat général4 s'est arrêté et,
après un moment de silence, a repris d'une voix très basse et très pénétrée :«
Cette même cour, messieurs, va juger demain le plus abominable des forfaits :
le meurtre d'un père. » Selon lui, l'imagination reculait devant cet atroce
attentat. Il osait espérer que la justice des hommes punirait sans faiblesse.
Mais il ne craignait pas de le dire, l'horreur que lui inspirait ce crime le
cédait presque à celle qu'il ressentait devant mon insensibilité. Toujours
selon lui, un homme qui tuait moralement sa mère se retranchait de la société
des hommes au même titre que celui qui portait une main meurtrière sur
l'auteur de ses jours. Dans tous les cas, le premier préparait les actes du
second, il les annonçait en quelque sorte et il les légitimait. « J'en suis
persuadé, messieurs, a t-il ajouté en élevant la voix, vous ne trouverez pas
ma pensée trop audacieuse, si je dis que l'homme qui est assis sur ce banc est
coupable aussi du meurtre que cette cour devra juger demain. Il doit être puni
en conséquence. »
1. procureur : représentant du Ministère public, chargé de
l'accusation.
2. jurés : citoyens faisant partie du jury.
3. Meursault a beaucoup choqué parce qu'il a fumé et bu du café au lait pendant
la veillée funèbre de sa mère, et parce qu'il a commencé une liaison amoureuse
le lendemain.
4. avocat général : synonyme de procureur.
I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous
répondrez â la question suivante (4 points) :
Comment s'exprime la présence du narrateur dans chaque
texte et que! rôle joue-t-elle dans la satire de la justice ?
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
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Commentaire
Vous commenterez l'extrait de L'Étranger d'Albert Camus (texte C).
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Dissertation
Les œuvres de fiction vous paraissent-elles le meilleur moyen pour
convaincre le lecteur ? Vous répondrez en vous référant aux textes du
corpus, aux œuvres étudiées en classe ou à vos lectures personnelles.
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Invention
Rédigez en prose la lettre du Roi, ami de Marot, en réponse à la requête de
son poète, qui considère avoir été injustement emprisonné. Vous écrirez en
français moderne et soutenu un texte argumenté.
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