Texte 1 : Michel De Montaigne, Les Essais, Livre II, chap. 30, « Au sujet d'un enfant monstrueux » (1595), trad. d'André Lanly.
Montaigne consacre un court chapitre de ses Essais au phénomène des monstres et apporte ainsi une contribution importante à un débat en vogue au XVIe siècle. Je vis avant-hier un enfant que deux hommes et une nourrice, qui disaient être le père, l'oncle et la tante, conduisaient pour le montrer à cause de son étrangeté et pour tirer de cela quelque sou. Il était pour tout le reste d'une forme ordinaire et il se soutenait sur ses pieds, marchait et gazouillait à peu près comme les autres enfants de même âge […] ; ses cris semblaient bien avoir quelque chose de particulier : il était âgé de quatorze mois tout juste. Au-dessous de ses tétins, il était attaché et collé à un autre enfant sans tête et qui avait le canal du dos bouché, le reste intact, car s'il avait un bras plus court que l'autre, c'est qu'il lui avait été cassé accidentellement à leur naissance ; ils étaient joints face à face et comme si un plus petit enfant voulait en embrasser un second […]. Les [êtres] que nous appelons monstres ne le sont pas pour Dieu, qui voit dans l'immensité de son ouvrage l'infinité des formes qu'il y a englobées ; et il est à croire que cette forme, qui nous frappe d'étonnement, se rapporte et se rattache à quelque autre forme d'un même genre, inconnu de l'homme. De sa parfaite sagesse il ne vient rien que de bon et d'ordinaire et de régulier ; mais nous n'en voyons pas l'arrangement et les rapports. « Quod crebro videt, non miratur, etiam si cur fiat nescit. Quod ante non vidit, id, si evenerit, ostentum esse censet." » [Ce que (l'homme) voit fréquemment ne l'étonne pas, même s'il en ignore la cause. Mais si ce qu'il n'a jamais vu arrive, il pense que c'est un prodige.] Nous appelons « contre nature» ce qui arrive contrairement à l'habitude : il n'y a rien, quoi que ce puisse être, qui ne soit pas selon la nature. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l'erreur et l'étonnement que la nouveauté nous apporte. Texte 2 : Voltaire, article "Bêtes", Le Dictionnaire philosophique ou La Raison par alphabet est une œuvre de Voltaire, publiée en 1764 sous le titre de Dictionnaire philosophique portatif BêtesQuelle pitié, quelle pauvreté, d'avoir dit que les bêtes sont des machines, privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n'apprennent rien, ne perfectionnent rien, etc. ! Quoi ! cet oiseau qui fait son nid en demi cercle quand il l'attache à un mur, qui le bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur arbre ; cet oiseau fait tout de la même façon ? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois, n'en sait-il pas plus au bout de ce temps, qu'il en savait avant les leçons ? Le serin à qui tu apprends un air, le répète-t-il dans l'instant ? N'emploies-tu pas un temps considérable à l'enseigner ? N’as-tu pas vu qu'il se méprend et qu'il se corrige ? Est-ce parce que je te parle, que tu juges que j'ai du sentiment, de la mémoire, des idées ? Eh bien, je ne te parle pas ; tu me vois entrer chez toi l'air affligé, chercher un papier avec inquiétude, ouvrir le bureau où je me souviens de l'avoir enfermé, le trouver, le lire avec joie. Tu juges que j'ai éprouvé le sentiment de l'affliction et celui du plaisir, que j'ai de la mémoire et de la connaissance. Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l'a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu'il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses. Des barbares saisissent ce chien, qui l'emporte si prodigieusement sur l'homme en amitié ; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques. Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste; la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu'il ne sente pas ? A-t-il des nerfs pour être impassible ? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature. (...) Écoutez d'autres bêtes raisonnant sur les bêtes; leur âme est un être spirituel qui meurt avec le corps: mais quelle preuve en avez vous ? Quelle idée avez-vous de cet être spirituel, qui, à la vérité, a du sentiment, de la mémoire, et sa mesure d'idées et de combinaisons, mais qui ne pourra jamais savoir ce que sait un enfant de six ans. Sur quel fondement imaginez-vous que cet être qui n'est pas corps périt avec le corps ? Les plus grandes bêtes sont ceux qui ont avancé que cette âme n'est ni corps ni esprit. Voilà un beau système. Nous ne pouvons entendre par esprit que quelque chose d'inconnu qui n'est pas corps. Ainsi le système de ces messieurs, revient à ceci, que l'âme des bêtes est une substance qui n'est ni corps ni quelque chose qui n'est point corps. D'où peuvent procéder tant d'erreurs contradictoires ? de l'habitude où les hommes ont toujours été d'examiner ce qu'est une chose, avant de savoir si elle existe. On appelle la languette, la soupape d'un soufflet, l'âme du soufflet. Qu'est-ce que cette âme ? C’est un nom que j'ai donné à cette soupape qui baisse, laisse entrer l'air, se relève, et le pousse par un tuyau, quand je fais mouvoir le soufflet. Il n'y a point là une âme distincte de la machine. Mais qui fait mouvoir le soufflet des animaux ? Je vous l'ai déjà dit, celui qui fait mouvoir les astres. Le philosophe qui a dit : Deus est anima brutorum, avait raison : mais il devait aller plus loin.
Acte II, tableau 10 LADY DRAPER. Est-ce que je sais ? Par exemple, tenez, ces tropis,
ils n’ont même pas de gris-gris au cou. |
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