Don Juan - cours sur Dom Juan et son rapport aux lois sociales.

Don Juan : Un grand seigneur

Au-dessus des lois sociales

 

Don Juan est un libertin. Il ne suit donc que sa volonté, en dehors de toute considération morale.

 

I. Non respect des valeurs familiales

_ Le mariage n’a aucune valeur pour Don Juan.

Cf. : l’amplification burlesque de Sganarelle: «  il aurait encore épousé toi, son chien et son chat » (I,1). Et : «  C’est un épouseur à toutes mains ». Il va même jusqu’à promettre le mariage à 2 femmes en même temps (Charlotte et Mathurine, II, 4)

Outre son opposition à Dieu, cela révèle aussi son mépris par rapport à un code social fondamental.

 

_ Aucun respect non plus pour son père :

IV, 4 : Don Louis vient faire la morale à son fils et Don Juan répond à la gravité, à la solennité de son père, par une invitation à s’asseoir. Réplique courte, pragmatique, qui montre que d’une part il est tout à fait insensible au discours de son père, mais qu’en outre il ne prend même pas la peine de lui cacher son indifférence et son mépris = insolence extrême.

Cf. IV, 5 : il dit, devant Sganarelle, une fois que son père est sorti : «  Eh ! mourez le plus tôt que vous pourrez, c’est le mieux que vous puissiez faire ». Et s’il ne lui dit pas en face, c’est qu’il dépend matériellement de lui.

_ Aucun respect non plus pour les morts. (cf. : le Commandeur)

 

II. Non respect d’un code de conduite des nobles.

_ Acte II, 3 : Pierrot lui a sauvé la vie, et Don Juan s’apprête à lui « voler » sa fiancée. Il va même jusqu’à le battre ! _ Il n’a aucune reconnaissance, aucune gratitude envers celui qui lui a sauvé la vie. Or, cela fait partie du code d’honneur de la noblesse, comme le rappellent Dom Carlos et Dom Alfonse dans la scène 4 de l’Acte III, lorsqu’ils débattent pour savoir s’il faut marquer  sa reconnaissance à quelqu’un qui vous a sauvé la vie mais vous a fait une offense grave.

_ Dom Juan se tait pendant leur longue discussion, comme s’il la trouvait sans intérêt. Il tient juste à montrer qu’il n’a pas peur de se battre en disant à la fin de la scène : «  Je n’ai rien exigé de vous, et vous tiendrai ce que j’ai promis ».

_ Il refuse la charité à l’ermite.

_ Il ne respecte pas la parole donnée à Monsieur Dimanche, bourgeois  à qui il doit de l’argent.

_ Chez les nobles, les combats, la guerre étaient considérée activité digne et valorisante. Si Don Juan a gardé les réflexes de sa caste (lorsqu’il porte secours à Don Carlos), ses adversaires de combat privilégiés sont non pas des adversaires masculins et armés, mais des femmes. Une des valeurs de la noblesse est donc ainsi dévoyée.

 

III. Non-respect de la hiérarchie sociale

Plusieurs fois dans la pièce Don Juan montre qu’il n’obéit pas aux convenances sociales : il n’agit pas avec les autres comme il le devrait en tant que noble.

_ Avec Charlotte et Mathurine, il prend soin de leur faire la cour alors que ce sont des paysannes et qu’il aurait la possibilité d’abuser de sa puissance de grand seigneur. Mais Don Juan aime à vaincre les obstacles, les résistances, pour affirmer son pouvoir de persuasion.

_ Dans la scène avec M. Dimanche, qui est un bourgeois, il lui offre un fauteuil, réservé en principe aux nobles. Il lui dit « Monsieur » (réservé en principe aux nobles) et il embrasse !

_ Il laisse parfois parler Sganarelle comme s’il était son égal.

 

Conclusion.

Don Juan, avant d’être un coureur de jupons, est un contestataire : il prend plaisir à montrer qu’il dédaigne les valeurs conservatrices : le père, la société et ses préjugés, la religion. En refusant ainsi tous les codes sociaux, Don Juan se retrouve par ailleurs dans une solitude extrême.

 

 

 

Dom Juan ou la transgression de l'ordre social.

Dom Juan offre un véritable panorama de la société ; Dom  Juan, face à chacune des classes représentées, joue sa propre partition transgressive.

La noblesse :

Représentée par Donne Elvire et ses frères, ainsi que par Dom Louis (et Dom Juan lui-même), elle se veut porteuse de valeurs morales : bravoure, sens de l'honneur, respect des femmes, de la religion, de la parole donnée. Or Dom Juan met en danger ce code social :

·       il ne respecte pas les normes sociales, refusant par exemple la charité au Pauvre.

·       Il ne respecte pas les sacrements : ni le mariage ("c'est un épouseur à toutes mains"), ni les défunts (scène du tombeau).

·       Il ne respecte pas la parole donnée : à Done Elvire, mais aussi à Monsieur Dimanche !

·       Enfin, il ne respecte pas son père : ni les liens du sang, ni les cheveux blancs ne l'empêchent de bafouer cruellement celui-ci.

"C'est une terrible chose qu'un grand seigneur méchant homme" s'exclame Sganarelle (I, 1) : en transgressant brutalement toutes les valeurs de la noblesse, Dom Juan met à nu la brutalité des rapports sociaux.

Les paysans :

L'acte qui oppose Dom Juan aux paysans est éminemment comique : face à Mathurine et Charlotte, Dom Juan, homme du réflexe, obéit mécaniquement à sa nature, au risque de se mettre en difficulté ; mais il profite également avec cynisme de sa position de noble, face à deux petites paysannes naïves. L'affrontement avec Pierrot rappelle la dimension sociale du conflit : "nos femmes", "parce que vous êtes monsieur".

Molière atténue ce que la scène pourrait montrer de brutal affrontement de classe en faisant de Pierrot un personnage comique, à la fois fanfaron et peureux ; il n'en reste pas moins que l'on retient le cynisme et l'absence de scrupule, la brutalité du Noble face à des paysans désarmés (et à qui, en outre, il doit la vie ! Il transgresse même la plus élémentaire morale...)

Le Pauvre :

C'est en réalité un ermite, c'est à dire un personnage qui a abandonné le "monde" pour se consacrer à Dieu. Comme tel, il devrait être un personnage sacré. Là encore on peut souligner la brutalité des rapports : Dom Juan joue cette fois non de son rang, mais de sa fortune. Il échoue d'ailleurs. Il s'agit moins ici d'un affrontement de classe que d'une lutte morale. Dom Juan peut transgresser les valeurs sacrées, pour lui-même ; mais il ne peut entraîner quiconque a de puissantes convictions morales. Il n'entraîne ni Donne Elvire, ni le Pauvre, mais il peut séduire Sganarelle ou les paysannes, qui n'ont aucune conviction solide !

Les bourgeois :

Ils sont représentés par M. Dimanche, un marchand, créancier de Dom Juan. Les seuls rapports entre la Noblesse et la bourgeoisie sont des rapports d'affaire, mais ceux-ci supposent un minimum de bonne foi de part et d'autre.

·       Sous la parfaite politesse de Dom Juan perce un écrasant mépris de caste : sa familiarité en est presque insultante (il demande des nouvelles du petit chien !) ; et il paie littéralement de mots le pauvre bourgeois !

·       Sganarelle, double déformé de Dom Juan (mais qui révèle sa vérité sans masque) se conduit de manière méprisante à l'égard du marchand, et met en évidence les rapports de domination.

Les domestiques :

·       Si Gusman est le reflet de sa maîtresse et adopte un langage de moraliste peu différent de celui d'un Dom Louis ou d'un Dom Carlos ("chastes feux de Done Elvire"... "un homme de sa qualité...", "les saints nœuds du mariage")...

·       en revanche les liens de Sganarelle avec Dom Juan sont beaucoup plus complexes, relevant tantôt de la complicité, tantôt de la servilité.

o        Il condamne son maître en paroles (I, 1 ; II, 4), mais il l'imite souvent en acte, en particulier lorsque Dom Juan rend manifeste des rapports de domination : avec M. Dimanche, ou avec le Pauvre.

o        Il va parfois même jusqu'à l'identification complète, avec M. Dimanche (IV, 1 : "de quoi s'avise-t-il de venir nous demander de l'argent ?" - on apprend d'ailleurs que lui aussi a emprunté au marchand !) ou IV, 7 : "qui diable vient nous troubler dans notre repos ?"

o        mais il subit lui-même ce rapport de domination : il se taît quand son maître menace (I, 2) et obéit en gémissant de sa complaisance (I,3 ; II, 4 ; II,5 ; IV, 1 ; IV, 5). Et là encore, Dom Juan n'hésite pas à abuser de son pouvoir, exposant son valet à sa place (en prenant ses habits, en l'envoyant répondre à la statue...) sans le moindre scrupule.

La transgression ultime : l'hypocrisie (V, 2).

On pourrait penser que l'hypocrisie, dernier visage de Dom Juan, tranche avec les précédents ; l'hypocrisie, art de la dissimulation, suppose des calculs, une petitesse incompatibles avec la nature généreuse et démesurée de Dom Juan. Mais il l'utilise comme un moyen de poursuivre sa route, et d'assouvir ses désirs. L'hypocrisie est donc un instrument de la volonté de puissance, dans une société corrompue.

La tirade sur l'hypocrisie est surtout une arme de guerre aux mains de Molière, qui par ce moyen règle violemment ses comptes avec ses ennemis du camp dévot. Dom Juan est la continuité de Tartuffe.

Dom Juan, par son refus de toutes les règles de bienséance sociale, met en danger l'ordre social tout entier, dont il révèle l'hypocrisie et l'insupportable brutalité. Parce qu'il fait voler en éclats les apparences, il représente un danger pour sa propre classe.

 

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