Cours composé par l'excellente Marianne Hubac. Le personnage criminel A/ Définition Criminel : - Dictionnaire historique de la langue française : adjectif et substantif, emprunté au bas latin criminalis « criminel, par opposition à civil, en droit », spécialement « blâmable » dans les textes chrétiens, criminatia peccata désignant les péchés mortels. Le mot a été introduit dans la double acception, morale (en parlant d’une personne et, par métonymie, d’un acte, d’une chose) et juridique (1174-1178). Il est substantivé pour caractériser une personne accusée puis fortement coupable (1602). - Robert : 1- qui est coupable d’une grave infraction à la morale, à la loi 2- personne qui est coupable d’un crime 3- personne coupable de meurtre 4- relatif aux actes délictueux et à leur répression N.B : « crime » : sens large : manquement très grave à la morale, à la loi Termes associés : attentat, délit, faute, infraction, mal, péché, complot, espionnage, assassinat, empoisonnement, meurtre, viol, fraude, escroquerie, déportation, extermination, génocide – crimes contre l’humanité – homicide, fratricide, infanticide, matricide, parricide,… Ouvrons le Code pénal : la liste des infractions criminelles est considérable, de l’assassinat aux atteintes à la sûreté de l’Etat. Au terme de l’inventaire, vous connaîtrez les crimes que la loi punit, mais vous ne saurez toujours pas ce qu’est le crime. Le crime n’est défini que par son châtiment. Est criminel ce que nous déclarons tel : la sorcellerie, le blasphème, l’homosexualité ont été punis de mort.
B/ Problématisation L’artiste a la liberté et l’audace de s’aventurer dans les profondeurs obscures de l’être humain et nous conduit à l’essentiel : le crime est transgression, mais de quelle transgression s’agit-il ? L’artiste est fasciné par le crime, parce qu’il fait peur et horreur à la fois. Peur parce que le criminel brise l’interdit et horreur parce que nous découvrons en lui que l’être humain – nous – est capable des pires transgressions. C’est notre image que nous renvoie le miroir du crime. Comment traduire ces fulgurances dans l’œuvre d’art ? Pour l’écrivain, toutes les formes littéraires sont possibles. Qu’il soit dramaturge (Sophocle ou Shakespeare) ou romancier (Dostoïevski, Camus), l’écrivain est maître du temps. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux personnages coupables de meurtres, dans les romans, selon une perspective chronologique qui prend en compte le XIXe et le XXe siècle.
I – Le crime entre en scène A/ Contexte C’est à dater de la Restauration que le crime va hanter jusqu’à l’obsession la littérature et l’art. Cette révolution culturelle est l’un des apports du romantisme. La littérature classique n’a pas ignoré le héros criminel, celui des mythes fondateurs de la tragédie grecque, Œdipe ou Oreste, ou celui de l’histoire romaine, Néron ou Caligula. Les personnages shakespeariens sont possédés par le crime, Richard III ou Macbeth, et plus encore Hamlet. Mais le crime s’enracine dans le mythe ou l’histoire, il habite les temples ou les palais. Et si, à la fin de l’Ancien Régime, Louis Sébastien Mercier décrit les sentines et les bouges de Paris, les assassins restent dans l’ombre. Certes, le public se précipite place de Grève au spectacle des exécutions capitales. L’éclat de supplices, plus que la personnalité du criminel, fascine la foule. Seuls quelques criminels exceptionnels comme le régicide Damiens, l’empoisonneuse Brinvilliers ou le brigand Cartouche échappent à l’anonymat. Un changement de la procédure pénale amené par la Révolution va exercer une influence décisive sur l’entrée du crime dans l’art : la publicité des audiences. Jusqu’en 1789, la justice criminelle demeurait secrète. Non seulement l’enquête et l’instruction, mais le procès criminel, n’étaient qu’un face-à-face à huis clos entre l’accusé et ses juges. Le public de l’Ancien Régime n’avait jamais vu ce spectacle incomparable : une audience criminelle. La réalité du drame judiciaire lui était inconnue. Et il ne découvrait le visage du criminel qu’au moment de son supplice. On comprend la curiosité passionnée qui emporta les Français lorsque, en octobre 1789, l’audience criminelle fut ouverte au public. On s’écrasait au Châtelet pour y voir et entendre l’accusé, le procureur et les avocats. L’éloquence judiciaire était née et la littérature criminelle allait suivre. Le public découvrit la justice à l’œuvre et des hommes qui jouaient leur tête au cœur d’une histoire de sang et de mort. Pareils drames fascinaient spectateurs et chroniqueurs. La presse, en plein essor, s’en empara. Le journal des débats s’ouvrit au récit des procès. On vit naître dès 1825 la Gazette des tribunaux, consacrée à la vie judiciaire, dont le succès fut considérable.
L’influence du roman noir anglais est aussi décisive : allez voir cette page sur le Moine, de Lewis.
B/ Le héros criminel En 1829 survint un événement littéraire décisif, la publication du Dernier Jour d’un condamné. Le scandale fut grand. Pour la première fois dans la littérature, le criminel lui-même prend la parole. Il raconte au lecteur son agonie dans la prison, l’attente de son exécution. On ne sait presque rien de lui : Hugo utilise un « je » qui, renvoyant à tout un chacun, peut permettre l’identification du lecteur au condamné et, partant, le ralliement au combat de l’écrivain. Ce récit plonge le lecteur dans ce que peut être une grande souffrance mentale vécue intensément ; le condamné interroge « Qu’est-ce que la douleur physique près de la douleur morale ? ». La littérature dont le criminel est le héros venait de naître. Textes : extraits du Dernier jour d’un condamné
Le développement des grandes villes, notamment Londres et Paris, la promiscuité des quartiers populaires, la misère des faubourgs suscitent sur fond de crise économique et d’épidémies, une angoisse du crime qui pénètre toute la société et inspire les écrivains. Les Misérables de Victor Hugo réunit sous un même vocable les malheureux et les criminels, ceux qui souffrent et ceux qui tuent. La ville devient un lieu de perdition où se côtoient criminels, mendiants, ouvriers, bourgeois et aristocrates. L’épopée des Mystères de Paris d’Eugène Sue connaît un succès inouï : leur parution dans Les Débats (1842-1843), provoquent des émeutes à la porte du journal et un abondant courrier. L’écrivain ne se borne pas à évoquer l’armée du crime, les bandes organisées qui terrorisent Paris et font frémir le lecteur. Le crime a aussi ses héros qui peuplent les romans. Tantôt, ce sont des personnages empruntés à la réalité, mais travestis ou magnifiés, tel Vidocq, le forçat devenu chef de la Sûreté, qui inspire à Balzac le personnage de Vautrin. Tantôt, des criminels inventés par l’auteur, qui deviendront, pour le public, des personnages plus vrais que la réalité.
Le criminel lui-même, bien réel celui-là, est la vedette des grands procès et dispute la célébrité au héros de roman. Lacenaire, écrivain médiocre mais assassin confirmé, connaît aux Assises la gloire à laquelle il aspirait. Pas de grand procès dont l’accusé ne fut décrit par des chroniqueurs judiciaires ou représenté par des croquis d’audience. Le crime hante désormais la littérature : Julien Sorel achève sa course par la tentative d’assassinat de Madame de Rênal. Stendhal, excipit du Rouge et le Noir, 1830 : « Jamais cette tête n’avait été aussi poétique qu’au moment de mourir. […] – Qui sait ? Peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort. […] elle avait placé sur une petite table de marbre, devant elle, la tête de Julien, et la baisait au front… Mathilde suivit son amant jusqu’au tombeau qu’il s’était choisi. Un grand nombre de prêtres escortaient la bière et, à l’insu de tous, seule dans sa voiture drapée, elle porta sur ses genoux la tête de l’homme qu’elle avait tant aimé. » Le crime ne se serait pas emparé de l’imaginaire collectif si son avènement en littérature n’avait coïncidé avec le prodigieux essor de la presse populaire au XIXe siècle. Le recul de l’illettrisme, les progrès de l’imprimerie ouvrirent la presse à une masse immense de lecteurs, bien au-delà des cercles cultivés. Le feuilleton, découpant les romans en tranches quotidiennes ou hebdomadaires, permet de tenir en haleine le lecteur pendant des mois et fait de l’ouvrage un sujet de discussions dans les salons et les cabarets. Les plus célèbres écrivains acceptèrent ce procédé qui accroissait leur notoriété et leurs revenus. Au feuilleton criminel s’ajoutaient le compte rendu des faits divers et la chronique des affaires judiciaires. En 1846 sont publiées en France, dans une traduction de Baudelaire, Les Histoires extraordinaires de Poe. Dupin, le héros, élucide par la seule analyse des indices et des témoignages, trois énigmes qui tenaient en échec le chef de la police (La Lettre volée, Double assassinat dans la rue Morgue, Le Mystère de Marie Roger). Le roman policier tel que nous le connaissons est l’héritier de ces nouvelles. Sous la IIIe République, feuilletonistes et reporters rivalisent dans le traitement des affaires criminelles. L’invention le dispute au réel. Héritiers des « canards » qui faisaient les délices du public depuis la Restauration, les grands quotidiens, notamment Le Petit Journal, Le Matin, Le Petit Parisien, dont les tirages se comptent par centaines de milliers d’exemplaires, assurent au crime une place privilégiée. Les héros criminels, Zygomar, Fantômas, Arsène Lupin, Chéri-Bibi, connaissent la célébrité et leurs créateurs la fortune. Avec la naissance du roman policier, l’enquête sur le crime et ses mystères tient le lecteur en haleine. Le reporter-détective double la police et conduit sa propre enquête à grand coup de révélations spectaculaires qui soutiennent le tirage. La fascination que les criminels exercent sur le public ne se dément pas.
II – La fascination pour le crime et le criminel
A/ Le regard de Zola Après l’éclat du romantisme, le crime devient l’obsession du naturalisme. Il a révélé la face cachée de l’espèce humaine : le meurtre devient en effet un moyen d’exploration des mécanismes psychologiques ou une situation limite permettant une interrogation de l’homme sur lui-même et sur ses rapports avec le monde. En 1867 Zola publie son premier roman « physiologique », Thérèse Raquin : c’est un « coup d’essai » qui est un coup de maître, offrant notoriété à son auteur et au naturalisme. Le meurtre est raconté depuis sa préméditation jusqu’à ses conséquences et s’inscrit dans une perspective naturaliste donnant lieu à des investigations scientifiques. Dès sa parution, le roman devient la cible de nombreux critiques qui la qualifient de « littérature putride », reprochant au romancier un goût malsain pour le macabre. « Ma curiosité a glissé ces jours-ci dans une flaque de boue et de sang qui s’appelle Thérèse Raquin, et dont l’auteur, M.Zola, passe pour un jeune homme de talent. Je sais, du moins, qu’il vise avec ardeur à la renommée. […] C’est le résidu de toutes les horreurs […]. Ce livre résume trop fidèlement toutes les putridités de la littérature contemporaine pour ne pas soulever un peu de colère. Je n’aurais rien dit d’une fantaisie individuelle, mais à cause de la contagion il y va de toutes nos lectures ; Forçons les romanciers à prouver leur talent autrement que par des emprunts aux tribunaux et à la voirie. » « Ferragus », extrait de l’article paru dans Le Figaro, 23 janvier 1868.
Zola écrit : « J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J’ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l’instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d’une crise nerveuse. Les amours de mes deux héros sont le contentement d’un besoin ; le meurtre qu’ils commettent est une conséquence de leur adultère, conséquence qu’ils acceptent comme les loups acceptent l’assassinat des moutons ; enfin ce que j’ai été obligé d’appeler leurs remords, consiste en un simple désordre organique, en une rébellion du système neveux tendu à se rompre. L’âme est parfaitement absente, j’en conviens aisément, puisque je l’ai voulu ainsi. On commence, j’espère, à comprendre que mon but a été un but scientifique avant tout. » (Préface de la deuxième édition de Thérèse Raquin, 2004). Texte : Extrait de Thérèse Raquin, 1867. Le lendemain, comme il entrait à la Morgue, il reçut un coup violent dans la poitrine : en face de lui, sur une dalle, Camille le regardait, étendu sur le dos, la tête levée, les yeux entrouverts. Le meurtrier s’approcha lentement du vitrage, comme attiré, ne pouvant détacher ses regards de sa victime. Il ne souffrait pas ; il éprouvait seulement un grand froid intérieur et de légers picotements à fleur de peau. Il aurait cru trembler davantage. Il resta immobile, pendant cinq grandes minutes, perdu dans une contemplation inconsciente, gravant malgré lui au fond de sa mémoire toutes les lignes horribles, toutes les couleurs sales du tableau qu’il avait sous les yeux. Camille était ignoble. Il avait séjourné quinze jours dans l’eau. Sa face paraissait encore ferme et rigide ; les traits s’étaient conservés, la peau avait seulement pris une teinte jaunâtre et boueuse. La tête, maigre, osseuse, légèrement tuméfiée, grimaçait ; elle se penchait un peu, les cheveux collés aux tempes, les paupières levées, montrant le globe blafard des yeux ; les lèvres tordues, tirées vers un des coins de la bouche, avaient un ricanement atroce ; un bout de langue noirâtre apparaissait dans la blancheur des dents. Cette tête, comme tannée et étirée, en gardant une apparence humaine, était restée effrayante de douleur et d’épouvante. Le corps semblait un tas de chairs dissoutes ; il avait souffert horriblement. On sentait que ses bras ne tenaient plus ; les clavicules perçaient la peau des épaules. Sur la poitrine verdâtre, les côtes faisaient des bandes noires ; le flanc gauche, crevé, ouvert, se creusait au milieu de lambeaux d’un rouge sombre. Tout le torse pourrissait. Les jambes, plus fermes, s’allongeaient, plaquées de taches immondes. Les pieds tombaient. Laurent regardait Camille. Il n’avait pas encore vu un noyé si épouvantable. Le cadavre avait, en outre, un air étriqué, une allure maigre et pauvre ; il se ramassait dans sa pourriture ; il faisait un tout petit tas. On aurait deviné que c’était là un employé à douze cents francs, bête et maladif, que sa mère avait nourri de tisanes. Ce pauvre corps, grandi entre des couvertures chaudes, grelottait sur la dalle froide. Quand Laurent put enfin s’arracher à la curiosité poignante qui le tenait immobile et béant, il sortit, il se mit à marcher rapidement sur le quai. Et, tout en marchant, il répétait : « Voilà ce que j’ai fait. Il est ignoble. » Il lui semblait qu’une odeur âcre le suivait, l’odeur que devait exhaler ce corps en putréfaction. L’anthropologie entend déceler le criminel dans l’homme. Elle donne au crime la nature d’une tare héréditaire inscrite dans les gènes. Zola associe amour, folie, mort : « Ce que je veux surtout marquer, écrit-il, c’est ce qu’il y a de sauvage au fond du coït, la mort dans l’amour, posséder et tuer. » Texte : extrait de Zola, la Bête humaine, chapitre II : le portrait de Jacques Lantier, voir lecture analytiques. De la recherche passionnée des traits spécifiques du criminel émerge une « science de l’homme ». A la physiognomonie de Lavater succède la phrénologie de Gall. « L’instinct meurtrier ou carnassier est une qualité fondamentale résultant d’une partie cérébrale particulière placée immédiatement au-dessus des oreilles. », écrit Gall en 1823. On va mesurer, palper, autopsier les têtes des criminels. Les angles des maxillaires, la profondeur des arcades sourcilières, l’importance des mâchoires, les bosses du crâne seront étiquetés, quantifiés, analysés. La recherche des types criminels devient objet de science. Les écrivains s’en emparent. Balzac invoque la physiognomonie. Eugène Sue offre une galerie de portraits types de criminels, Victor Hugo un bestiaire des forçats au bagne de Toulon (dans Les Misérables). Le peintre rejoint l’écrivain dans cette recherche des stigmates de la « folie criminelle ». Géricault nous fait voir, dans sa série des monomanes, le « voleur d’enfants » (aujourd’hui pédophile), ou le « monomane du vol ». Les visages des accusés célèbres, tel le régicide Fieschi, sont représentés dans le box de la cour d’assises. Daumier excelle dans les scènes d’audience, publiées dans Le Charivari. Degas réalise des portraits au pastel de jeunes criminels. Les bustes des assassins complètent la galerie des portraits. Le buste de Lacenaire, la vedette romantique du crime, réalisé après son exécution en 1836, présente le masque énigmatique qu’il avait conservé au long des audiences. Des moulages de têtes de guillotinés sont réalisés pour les recherches de l’anthropologie criminelle.
L’art et la science se conjuguent pour enrichir ces collections macabres. Daguerréotypes et photographies nourrissent la passion de fixer, scruter, mesurer les traits du criminel. Alphonse Bertillon, père de l’identité judiciaire, utilise à l’extrême les ressources des nouvelles techniques. Les séries de photos anthropométriques réunies en panneaux forment un tableau qui anticipe sur le cubisme. La photographie d’audience supplante le croquis dont la vedette est l’accusé. Celles des grands assassins célèbres comme Landru ou Bonnot feront la une des journaux et susciteront les commentaires des écrivains mués en chroniqueurs judiciaires. Cette iconographie criminelle, où se conjuguent peintures, dessins, photographies, révèle-t-elle comme l’espéraient les anthropologues une physionomie, des traits, un type caractéristique, bref, le visage du crime ? A cet égard l’approche « scientifique » s’avère infructueuse. Il n’existe pas de « criminels-nés » ni de « gueules d’assassins ». Bien des chroniqueurs n’ont pas dissimulé leur déception devant le visage de comptable modèle de Landru ou les traits insignifiants d’un criminel atroce. Et les têtes des guillotinés peintes par Géricault nous en disent plus sur l’artiste et ses obsessions que sur l’essence humaine du crime.
B/ L’exaltation du Ma Restait à détacher le crime de tout mobile, à en faire le fruit du hasard plutôt que de la nécessité. Lafcadio, le héros des Caves du Vatican de Gide (1914), tue sans motifs apparents sa victime rencontrée dans le train. C’est le triomphe de l’acte gratuit. Les surréalistes iront encore plus loin. André Breton écrit : « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. Texte : extrait de Gide, LesCaves du Vatican, 1914 C/ Le crime dans l’Histoire Le cas particulier du crime politique, terroriste
Texte : incipit de La Condition humaine de Malraux - Ce texte répond-il aux attentes habituelles de l’incipit en présentant les personnages et le décor pour préparer l’action ? Comment appelle-t-on ce type d’incipit ? - Comment le suspense est-il maintenu, pour le lecteur, tout au long de l’extrait ? - En quoi l’écriture de cet incipit peut-elle évoquer la mise en scène cinématographique ? - Quel point de vue le narrateur adopte-t-il ? Quel est l’effet produit ? - Comment la solitude du meurtrier est-elle soulignée ? - Quels procédés d’écriture montrent les hésitations de l’assassin au moment du crime ? Comment l’angoisse se traduit-elle dans son corps ? - Relevez les termes qui appartiennent au champ lexical du combat et de la mort. Quelles distinctions lexicales le narrateur fait-il entre ces mots ?
==> Le temps est venu du crime contre l’humanité, cette négation de l’humanité par le criminel.
Texte : extrait de Robert Merle, La mort est mon métier, 1952
A l’époque où Robert Merle écrit son roman, peu de livres avaient abordé le terrible sujet des camps de la mort nazis. Il s’inspire de la vie de Rudolf Hoess, officier SS qui fut chargé d’organiser les camps de la mort en Pologne. Cet ancien ouvrier adhère assez rapidement au parti nazi. Impliqué dans une affaire d’assassinat, il fait cinq ans de prison et n’en sort que grâce aux nazis. Ceux-ci lui proposent d’utiliser son expérience de la détention dans les camps qu’ils sont en train d’aménager en Allemagne. Pour Rudolf, c’est l’occasion de sortir de la misère, et l’espoir de monter en grade. Il est affecté à Dachau, puis envoyé en Pologne dans le camp d’Auschwitz. La « solution finale » ayant été décidée par Hitler, c’est lui qu’on choisit pour réaliser « techniquement » le génocide. Avec une rigueur méthodique, hallucinante de précision, il organise le dispositif de mort, avec une seule obsession : comment éliminer le plus grand nombre de Juifs, dans le délai le plus court, en obtenant le meilleur rendement possible. Robert Merle détaille le fonctionnement de cette terrible entreprise, conçue de sang-froid par un homme qui ne semble pas troublé par la portée de ses actes. A son procès, Rudolf, cet homme « banal », n’exprimera jamais le moindre remords et dira simplement qu’il n’a fait « qu’obéir aux ordres »…
Lecture complémentaire : Les Bienveillantes, Jonathan Littell, 2006
D/ La femme
Victime du crime, la femme demeure dans le rôle passif que lui assigne la société bourgeoise. Violée, assassinée, elle excite les passions troubles et les fantasmes refoulés. En revanche, la femme criminelle attente doublement à l’ordre établi : par son acte et par son être. Son crime est négation de sa féminité et la femme criminelle est un « monstre moral ». D’où la fascination qu’elle suscite dans le public et dont l’artiste va s’emparer. Le crime de la femme s’avère d’autant plus angoissant pour l’homme qu’il implique une double transgression : celle de l’interdit du meurtre et celle de l’image de la mère qui donne la vie. Dans la galerie des meurtrières, la femme séductrice se voit privilégiée. Elle est la fille d’Eve, celle qui a tendu le fruit défendu à Adam et entraîné leur exclusion du paradis terrestre. La « vamp » se trouve magnifiée dans la légende de Salomé obtenant d’Hérode la tête de saint Jean-Baptiste en dansant nue devant lui sous ses voiles. L’éclat de sa chair illumine le tableau de Gustave Moreau : L’Apparition, 1876. De la femme fatale qui pousse au crime à la femme maléfique qui le commet, le glissement est rapide. Plus qu’aucune autre, l’empoisonneuse hante l’imaginaire criminel. Le recours au poison apparaît comme le crime de la lâcheté et de la ruse, défauts volontiers prêtés à la « nature » féminine en ce temps-là. Les « canards » diabolisent l’empoisonneuse. Derrière ses traits on retrouve le masque de la sorcière qui continue à hanter l’imagination et l’art, à défaut de peupler les prisons et les bûchers. De tous les crimes judiciaires commis dans l’Occident chrétien, la répression de la sorcellerie est le pire. Dans ces poursuites, et dans les flammes des bûchers, se joue une partie décisive. Modèle de Judith, héroïne juive, qui pour sauver la ville de Béthulie séduit Holopherne, le général ennemi, et lui coupe la tête pendant son ivresse. Exemple : Thérèse Desqueyroux, Mauriac, 192, dont voici la bande-annonce d'une adaptation cinématographique : En guise de conclusion :
En vérité, ce qui fascine l’artiste c’est moins l’éclat du procès que le versant sombre et parfois sanglant de la justice : le châtiment. Au-delà de la diversité des dispositions, un mot exprime l’unité profonde du code : l’adjectif pénal, dont l’étymologie peine, poena, signifie souffrance. Le Code pénal est un code des souffrances infligées à ceux qui ont méconnu ses dispositions. Dans les cas extrêmes, la souffrance peut aller jusqu’à la mort. Le Bien – la loi – est défendu par le mal, la douleur. Le désir de punir emporte la communauté outragée par le crime : punir, c’est faire souffrir l’auteur du sacrilège. Toujours est-il que le personnage criminel, très souvent, nous renseigne non seulement sur la morale d'une époque, sur la manière dont on conçoit l'homme (le criminel est un surhomme chez Sade, car il est libre de faire ce qui lui plaît chez Sade ; mais il est une victime de son sang et de son milieu social chez Zola, par exemple). Il nous renseigne aussi sur la littérature qui le produit : pseudo philosophique chez Sade, analytique et naturaliste (c'est-à-dire "biologiste) chez Zola, nihiliste chez Gide, pétri de doutes sur la société humaine chez Camus.
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