La mise en abyme dans HamletUne mise en abyme consiste à insérer une œuvre dans une autre œuvre : l'oeuvre insérée entretient des relations de similitudes avec l'oeuvre insérante. Le dispositif instaure donc un jeu de miroir entre les deux oeuvres. Dans Hamlet, la représentation commandée par Hamlet reproduit le meurtre de son père par Claudius. On note une mise en abyme dans la scène 2 de l’acte III. Elle consiste à la mise en scène d’une pièce de théâtre dans la pièce de théâtre (A play within a play). Pour que la vérité éclate, Hamlet choisit de faire jouer une pièce nommée La Souricière le roi et sa cour. Cette pièce met en scène l’assassinat de son père par son oncle Claudius. Le roi actuel se reconnaît alors et se hâte de partir. Cette mise en abyme permet de révéler une vérité qui est celle du meurtre du défunt Roi, elle accentue donc sur le pouvoir du théâtre qui est d'exposer et dénoncer des vérités de manière comique ou tragique. Cette scène permet aussi de faire avancer la pièce de théâtre puisqu'elle informe le Roi actuel qu'Hamlet est au courant. En quittant la salle Claudius, prouve que les propos du spectre sont fondés (avancée dans la compréhension du lecteur/spectateur), et expose à Hamlet la terrible vérité animant le sentiment de haine du jeune garçon (avancée dans l'histoire et la construction du personnage). Enfin, cette mise en abyme renforce l'illusion du théâtre, car le Roi et ses sujets devant la représentation de la Souricière occupent la même position que les spectateurs de la pièce. On oublie que nous sommes assis dans un théâtre au XXIème siècle et on se laisse transporter au XVIIème siècle !
La Tragique Histoire d'Hamlet, prince de Danemark (en anglais, The Tragical History of Hamlet, Prince of Denmark) est la plus longue et l'une des plus célèbres pièces de William Shakespeare. La date exacte de composition n'est pas connue avec précision ; la première représentation se situe sûrement entre 1598 et 1601. Le texte fut publié en 1603.
Le roi du Danemark, père d'Hamlet, est mort récemment. Son frère Claudius l'a remplacé comme roi1 et, moins de deux mois après, a épousé Gertrude, la veuve de son frère.
Le spectre du roi apparaît alors et révèle à son fils qu'il a été
assassiné par Claudius. Hamlet doit venger son père et pour mener son
projet à bien simule la folie.
Mais il semble incapable d'agir, et, devant l'étrangeté de son
comportement, l'on en vient à se demander dans quelle mesure il a
conservé sa raison. On met cette folie passagère sur le compte de
l'amour qu'il porterait à Ophélie, fille de Polonius, chambellan et conseiller du roi.
L'étrangeté de son comportement plonge la cour dans la perplexité. Mis
en cause à mots couverts par Hamlet, Claudius perçoit le danger et
décide de se débarrasser de son fantasque neveu. Dans notre extrait, Hamlet monte lui-même une pièce de théâtre dans laquelle il représente le crime de Claudius et Gertrude (sans que leurs noms soient mentionnés), devant Claudius et Gertrude eux-mêmes. Ils compte ainsi observer leurs réactions, et les mettre devant l'horreur de leur crime. C'est donc par le théâtre dans le théâtre (la mise en abyme) qu'Hamlet se révolte, du moins en partie, contre ses ennemis. Voici le texte mis en scène pas Thomas Ostermeir, au festival d'Avignon, en 2008, dont vous pourrez lire une critique ici. L'extrait étudié se situe entre 1:08:07 a 1:18:36
Lire aussi une courte interview d'Ostermeier, metteur en scène allemand provocateur, qui parle de sa pièce (à télécharger tout en bas de cette page).
Shakespeare,
Hamlet, acte III, scène 2, extrait.
SCENE II
La grand-salle du château.
Entrent Hamlet et plusieurs comédiens.
HAMLET. - Dites, je vous prie, cette tirade comme je l'ai prononcée devant
vous, d'une voix naturelle ; mais si vous la braillez, comme font beaucoup de
nos acteurs, j'aimerais autant faire dire mes vers par le crieur de la ville.
Ne sciez pas trop l'air ainsi, avec votre bras ; mais usez de tout sobrement ;
car, au milieu même du torrent, de la tempête, et, je pourrais dire, du
tourbillon de la passion, vous devez avoir et conserver assez de modération
pour pouvoir la calmer. (…) Ne soyez pas non plus trop apprivoisé ; mais que
votre propre discernement soit votre guide ! Mettez l'action d'accord avec la
parole, la parole d'accord avec l'action, en vous appliquant spécialement à ne
jamais violer la nature ; car toute exagération s'écarte du but du théâtre qui,
dès l'origine comme aujourd'hui, a eu et a encore pour objet d'être le miroir
de la nature, de montrer à la vertu ses propres traits, à l'infamie sa propre
image, et au temps même sa forme et ses traits dans la personnification du
passé. (…) Allez vous préparer. (Sortent les comédiens.)
Entrent Polonius, Rosencrantz et Guildenstem.
HAMLET, à Polonius. - Eh bien ! Monseigneur le roi entendra-t-il ce
chef-d'oeuvre ?.
POLONIUS. - Oui. La reine aussi, et cela, tout de suite.
HAMLET. - Dites aux acteurs de se dépêcher. (Sort Polonius. A Rosencrantz et à
Guildenstem.) Voudriez-vous tous deux presser leurs préparatifs ?.
ROSENCRANTZ et GUILDENSTERN. - Oui, monseigneur.
(Sortent Rosencrantz et Guildenstem.)
HAMLET. - Holà ! Horatio !. Entre Horatio.
HORATIO. - Me voici, mon doux seigneur, à vos ordres.
HAMLET. - De tous ceux avec qui j'ai jamais été en rapport, Horatio, tu es par
excellence l'homme juste.
HORATIO. - Oh ! mon cher seigneur !
HAMLET. - Non, ne crois pas que je te flatte. Car quel avantage puis-je espérer
de toi qui n'as d'autre revenu que ta bonne humeur pour te nourrir et
t'habiller ?. A quoi bon flatter le pauvre ?. Non. (…) On joue ce soir devant le roi une pièce
dont une scène rappelle beaucoup les détails que je t'ai dits sur la mort de
mon père. Je t'en prie ! quand tu verras cet acte-là en train, observe mon
oncle avec toute la concentration de ton âme. Si son crime occulte ne s'échappe
pas en un seul cri de sa tanière, ce que nous avons vu n'est qu'un spectre
infernal, et mes imaginations sont aussi noires que l'enclume de Vulcain.
Suis-le avec une attention profonde. Quant à moi, je riverai mes yeux à son
visage. Et, après, nous joindrons nos deux jugements pour prononcer. sur ce
qu'il aura laissé voir.
HORATIO. - C'est bien, monseigneur. Si, pendant la représentation, il me dérobe
un seul mouvement, et s'il échappe à mes recherches, que je sois responsable du
vol !
HAMLET. - Les voici qui viennent voir la pièce. Il faut que j'aie l'air de
flâner. (A Horatio.) Allez prendre place.
(Marche danoise. Fanfares.) ...
Entrent le Roi, la Reine, Polonius, Ophélia, Rosencrantz, Guildenstem et
autres.
LE ROI. - Comment se porte notre cousin Hamlet ?.
HAMLET. - Parfaitement, ma foi ! Je vis du plat du caméléon : je mange de
l'air, et je me bourre de promesses. Vous ne pourriez pas nourrir ainsi des
chapons.
LE ROI. - Cette réponse ne s'adresse pas à moi, Hamlet ! Je ne suis pour rien
dans vos paroles !
HAMLET. - Ni moi non plus, je n'y suis plus pour rien.
(A Polonius.) Monseigneur, vous jouâtes jadis à l'Université, m'avez-vous dit
?.
POLONIUS. - Oui, monseigneur ; et je passais pour bon acteur.
HAMLET. - Et que jouâtes-vous ?.
POLONIUS. - Je jouai Jules César. Je fus tué au Capitole ; Brutus me tua.
HAMLET. - C'était un acte de brute de tuer un veau si capital... Les acteurs
sont-ils prêts ?.
ROSENCRANTZ. - Oui, monseigneur. ils attendent votre bon plaisir.
LA REINE. - Venez ici, mon cher Hamlet, asseyez-vous auprès de moi.
HAMLET. - Non, ma bonne mère. (Montrant
Ophélia.) Voici un métal plus attractif.
POLONIUS, au Roi. - Oh ! oh ! remarquez-vous cela ?.
HAMLET, se couchant aux pieds d'ophélia. - Madame, m'étendrai-je entre vos
genoux ?.
OPHÉLIA. - Non, monseigneur.
HAMLET. - Je veux dire la tête sur vos genoux.
OPHÉLIA. - Oui, monseigneur.
HAMLET. - Pensez-vous que j'eusse dans l'idée des choses grossières ?.
OPHÉLIA. - Je ne pense rien, monseigneur.
HAMLET. - C'est une idée naturelle de s'étendre entre les jambes d'une fille.
OPHÉLIA. - Quoi, monseigneur ?.
HAMLET. - Rien.
OPHÉLIA. - Vous êtes gai, monseigneur.
HAMLET. - Qui ?. moi ?.
OPHÉLIA. - Oui, monseigneur.
HAMLET. - Oh ! je ne suis que votre baladin. Qu'a un homme de mieux à faire que
d'être gai ?. Tenez ! regardez comme ma mère a l'air joyeux, et il n'y a que
deux heures que mon père est mort.
OPHÉLIA. - Mais non, monseigneur : il y a deux fois deux mois.
HAMLET. - Si longtemps ?. Oh ! alors que le diable se mette en noir ! Pour moi,
je veux porter des vêtements de zibeline. ô ciel ! mort depuis deux mois, et
pas encore oublié ! Alors il y a espoir que la mémoire d'un grand homme lui
survive six mois (…).
Les trompettes sonnent. La pantomime commence.
Un Roi et une Reine entrent : l'air fort amoureux, ils se tiennent embrassés.
La Reine s'agenouille et fait au Roi force gestes de protestations. Il la
relève et penche sa tête sur son cou, puis s'étend sur un banc couvert de
fleurs. Le voyant endormi, elle le quitte. Alors survient un personnage qui lui
ôte sa couronne, la baise, verse du poison dans l'oreille du Roi, et sort. La
Reine revient, trouve le Roi mort, et donne tous les signes du désespoir.
L'empoisonneur, suivi de deux ou trois personnages muets, arrive de nouveau et
semble se lamenter avec elle.
Le cadavre est emporté. L'empoisonneur fait sa cour à la Reine en lui offrant
des cadeaux. Elle semble quelque temps avoir de la répugnance et du mauvais
vouloir, mais elle finit par agréer son amour. Ils sortent.
OPHÉLIA. - Que veut dire ceci, monseigneur ?.
HAMLET. - Parbleu ! c'est une embûche ténébreuse qui veut dire crime.
OPHÉLIA. - Cette pantomime indique probablement le sujet de la pièce.
Entre le Prologue.
HAMLET. - Nous le saurons par ce gaillard-là. Les comédiens ne peuvent garder
un secret : ils diront tout.
OPHÉLIA. - Nous dira-t-il ce que signifiait cette pantomime ?.
HAMLET. - Oui, et toutes les pantomimes que vous lui ferez voir. Montrez-lui
sans honte n'importe laquelle, il vous l'expliquera sans honte.
OPHÉLIA. - Vous êtes méchant ! vous êtes méchant ! Je veux suivre la pièce.
LE PROLOGUE.
Pour nous et pour notre tragédie, Ici, inclinés devant votre clémence. Nous
demandons une attention patiente.
(…)
Entrent sur le second théâtre Gonzague et Baptista.
GONZAGUE.
Trente fois le chariot de Phébus a fait le tour Du bassin salé de Neptune et du
domaine arrondi de Tellus ; Et trente fois douze lunes ont de leur lumière
empruntée Eclairé en ce monde trente fois douze nuits, Depuis que l'amour a
joint nos cœurs et l'hyménée nos (mains Par les liens mutuels les plus sacrés.
BAPTISTA.
Puissent le soleil et la lune nous faire compter autant de fois leur voyage
avant que cesse notre amour !
Mais, hélas ! vous êtes depuis quelque temps si malade, Si triste, si changé,
Que vous m'inquiétez. Pourtant, tout inquiète que je suis, Vous ne devez pas
vous en troubler, Monseigneur ; Car l'anxiété et l'affection d'une femme sont
en égale mesure. Ou toutes deux nulles, ou toutes deux extrêmes.
Maintenant, ce qu'est mon amour, vous le savez par épreuve ; Et mes craintes
ont toute l'étendue de mon amour.
Là où l'amour est grand, les moindres appréhensions sont des craintes ; là où
grandissent les moindres craintes, croissent les grandes amours.
GONZAGUE. Vraiment, amour, il faut que je te quitte, et bientôt. Mes facultés
actives se refusent à remplir leurs fonctions.
Toi, tu vivras après moi dans ce monde si beau, Honorée, chérie ; et, peut-être
un homme aussi bon Se présentant pour époux, tu...
BATISTA. Oh ! grâce du reste !
Un tel amour dans mon coeur serait trahison ; Que je sois maudite dans un
second mari !. Nulle n'épouse le second sans tuer le premier.
HAMLET, à part. - De l'absinthe ! voilà de l'absinthe !
BATISTA. Les motifs qui causent un second mariage Sont des raisons de vil
intérêt, et non pas d'amour. Je donne une seconde fois la mort à mon seigneur,
Quand un second époux m'embrasse dans mon lit.
GONZAGUE. Je crois bien que vous pensez ce que vous dites là, Mais on brise
souvent une détermination.(…) Ainsi, tu crois ne jamais prendre un second mari
; Mais, meure ton premier maître, tes idées mourront avec lui.
BAPTISTA. Que la terre me refuse la nourriture, et le ciel la lumière ! Que la
gaieté et le repos me soient interdits nuit et jour ! Que ma foi et mon
espérance se changent en désespoir ! Que le plaisir d'un anachorète soit la
prison de mon avenir ! Que tous les revers qui pâlissent le visage de la joie
Rencontrent mes plus chers projets et les détruisent ! Qu'en ce monde et dans
l'autre, une éternelle adversité me poursuive, si, une fois veuve, je redeviens
épouse !.
HAMLET, à Ophélia. - Si maintenant elle rompt cet engagement-là ! .
GONZAGUE. Voilà un serment profond. Chère, laissez-moi un moment : ma tête
s'appesantit, et je tromperais volontiers Lés ennuis du jour par le sommeil.
(Il s'endort.)
BATISTA. Que le sommeil berce ton cerveau, Et que jamais le malheur ne se mette
entre nous deux ! (Elle sort.).
HAMLET, à la Reine. - Madame, comment trouvez-vous cette pièce ?.
LA REINE. - La dame fait trop de protestations, ce me semble.
HAMLET. - Oh ! pourvu qu'elle tienne parole !
LE ROI. - Connaissez-vous le sujet de la pièce ?. Tout y est-il inoffensif ?.
HAMLET. - Oui, oui ! ils font tout cela pour rire ; du poison pour rire ! Rien
que d'inoffensif !
LE ROI. - Comment appelez-vous la pièce ?.
HAMLET. - La Souricière. Comment ?. Pardieu ! au figuré. Cette pièce est le
tableau d'un meurtre commis à Vienne. Le duc s'appelle Gonzague, sa femme
Baptista.
Vous allez voir. C'est une oeuvre infâme ; mais qu'importe ?. Votre Majesté et
moi, nous. avons la conscience libre : cela ne nous touche pas. Que les rosses
que cela écorche ruent ! nous n'avons pas l'échine entamée.
Entre sur le second théâtre Lucianus.
Celui-ci est un certain Lucianus, neveu du roi.
OPHÉLIA. - Vous remplacez parfaitement le choeur, monseigneur.
HAMLET. - Je pourrais expliquer ce qui se passe entre vous et votre amant, si
je voyais remuer vos marionnettes.
OPHÉLIA. - Vous êtes piquant, monseigneur, vous êtes piquant !
HAMLET. - il ne vous en coûterait qu'un cri pour que ma pointe fût émoussée.
OPHÉLIA. - De mieux en pire.
HAMLET. - C'est la désillusion que vous causent tous. les maris... Commence,
meurtrier, laisse là tes pitoyables grimaces, et commence. Allons ! Le corbeau
croasse : Vengeance !.
LUCIANUS. Noires pensées, bras dispos, drogue prête, heure favorable.
L'occasion complice ; pas une créature qui regarde.
Mixture infecte, extraite de ronces arrachées à minuit, Trois fois flétrie,
trois fois empoisonnée par l'imprécation (d'Hécate Que ta magique puissance,
que tes propriétés terribles Ravagent immédiatement la santé et la vie !
Il verse le poison dans l'oreille du Roi endormi.
HAMLET. - il l'empoisonne dans le jardin pour lui prendre ses etats. Son nom
est Gonzague. L'histoire est véritable et écrite dans le plus pur italien. Vous
allez voir tout à l'heure comment le meurtrier obtient l'amour de la femme de
Gonzague.
OPHÉLIA. - Le roi se lève.
HAMLET. - Quoi ! effrayé par un feu follet ?.
LA REINE. - Comment se trouve monseigneur ?.
POLONIUS. - Arrêtez la pièce !.
LE ROI. - Qu'on apporte de la lumière ! Sortons.
TOUS. - Des lumières ! des lumières ! des lumières !
(Tous sortent, excepté Hamlet et Horatio.)
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