Lecture complémentaire 1 - ouverture sur l'Antiquité - Médée, d'Euripide

Euripide, Médée, (431 avant Jésus-Christ) scène 6

 


Au début de la pièce, le Gouverneur et la Nourrice discutent entre eux du remariage de Jason avec la fille du roi Créon, Créuse. Médée paraît et laisse éclater sa colère. Elle cherche une manière de punir son mari. Le roi Créon la chasse alors en exil avec ses enfants, mais, supplié par Médée, il lui accorde cependant un délai d'une journée avant son départ. Médée décide d'employer ce laps de temps à tuer Créon et sa fille Créuse. Jason entre ensuite en scène, ce qui provoque une scène de dispute avec Médée. Après cela, Médée promet au roi Égée, en voyage, de l'aider à avoir des enfants, s'il l'héberge quand elle aura quitté le royaume de Créon. Il accepte, ce qui lève les dernières hésitations de Médée à commettre son crime. Devant Jason, elle confie à ses enfants un diadème et un voile empoisonnés, destinés à tuer la fille de Créon, en disant à Jason qu'il s'agit de présents visant à amadouer la princesse afin que ses enfants échappent à l'exil. Les enfants reviennent, ayant accompli leur mission. Médée, troublée, les fait rappeler plusieurs fois en scène, sachant que le destin est désormais irréversible. Un messager vient annoncer à Médée la mort de la princesse, mais aussi de Créon. Médée tue ses enfants en coulisses. Jason rentre, craignant pour ses fils, mais il est déjà trop tard. Médée, montée sur un char tiré par des dragons, lui refuse de toucher les cadavres de leurs enfants et part pour la terre d'Égée, laissant Jason seul avec sa douleur.


Montée au festival d'Avignon en 2000 par Jacques Lassalle, Médée est une pièce violente, toujours sulfureuse tant son "héroïne" est monstrueuse. Voici comment son actrice principale, Isabelle Huppert, en parle :



Et voici quelques extraits de cette mise en scène flamboyante :



vv. 214-270 (Scène VI)

(Médée, coryphée )

MÉDÉE (214- 266)

(214-229) Dames de Corinthe, me voici hors de la maison... Non, ne me blâmez pas. Je connais pas mal de gens qui ont fière allure, les uns sous mes yeux, d'autres à l'étranger. Cette désinvolture leur vaut la mauvaise réputation d'être superficiels. Est-il équitable le regard du public? Non, car sans connaître quelqu'un en profondeur, des gens se mettent à le haïr rien qu'à le regarder et sans avoir subi de sa part le moindre mal. Certes, il faut que l'étranger noue des liens avec la ville qui l'accueille et je n'ai jamais non plus donné raison au citadin que son arrogance rend odieux à ses concitoyens qu'il préfère ne pas connaître. Moi, cet événement inattendu qui m'est tombé dessus, m'a complètement détruite. Je suis perdue. Je n'ai plus aucun plaisir de vivre. Je veux en finir, mes amies. Celui qui représentait tout pour moi - je ne le sais que trop! - est devenu le plus abject des hommes... et dire que c'est mon mari.

(230-251) De tous les êtres vivants doués de pensée, nous sommes, nous les femmes, la plus malheureuse des espèces. Tout d'abord, il faut - en y mettant le prix! - acheter un époux pour en faire le maître de notre corps. Or, il y a un mal encore bien plus dur à endurer, puisque c'est cela le grand enjeu: tomber sur un mauvais bougre ou un homme de bien. Car ce n'est pas bien glorieux pour des femmes que d'être répudiées et il ne leur est pas possible de refuser un époux. Une fois installée chez son époux, la femme découvre des habitudes et des usages qu'elle ne soupçonnait pas. Il lui faut être devin, puisqu'elle sort de chez elle sans rien savoir, pour se mettre au mieux avec celui qui partage son lit. Et, si nous nous en tirons bien dans cette tâche et que l'époux vit avec nous en portant le joug sans réchigner, alors notre existence est enviable. Mais, si ce n'est pas comme ça, il n' y a plus qu'à mourir.

(244-247) L'homme qui ne supporte plus ceux avec qui il vit à la maison, va voir hors de chez lui et il a vite fait de mettre fin au dégoût qui le tient. Mais nous - il ne peut en être qu'ainsi! - nous n'avons qu'un seul être vers qui attacher nos regards. On dit de nous que nous menons une vie sans risques à l'intérieur de nos maisons, tandis que les hommes soutiennent des luttes armées. Quel mauvais raisonnement! (250) Car moi je préférerais combattre trois fois qu'accoucher une seule!

(S'adressant au coryphée) (252-266)

(252-255) Mais ce qui se passe, c'est que toi et moi, nous ne parlons pas de la même chose. Toi, tu vis dans ta propre ville, où se trouve la maison de ton père, où tu as des moyens d'existence et des amis à fréquenter. 

(256-266) Mais moi qui suis seule, apatride, arrachée comme un butin à ma terre barbare, je subis les outrages d'un homme, je n'ai ni mère ni frère, pas même un parent (258) auprès de qui jeter l'ancre loin de ce marasme. Quelle est donc la seule chose que je veux obtenir de toi, si je découvre un moyen, un stratagème pour faire payer à mon époux la contrepartie de mes souffrance?

Ton silence!

(264) Car la femme en général est très peureuse et elle perd ses moyens si on la confronte à la violence et aux armes. Mais si elle est atteinte injustement dans sa vie conjugale, il n'y a pas d'âme plus meurtrière.

CORYPHÉE (267-270)

C'est ainsi que j'agirai, c'est en toute justice que tu châtieras ton mari, Médée! Je ne m'étonne pas de te voir pleurer sur tout ce qui t'arrive.

(Créon, tyran de Corinthe arrive solidement escorté)

Mais je vois s'approcher Créon, prince de notre terre, qui vient annoncer ses nouvelles décisions.

 


Extrait 2 : scène 12

MÉDÉE

O Zeus! Justice, fille de Zeus! Lumière du Soleil ! maintenant nous allons remporter une belle victoire sur nos ennemis, mes amies. Nous sommes sur la voie; maintenant j'ai l'espoir que mes ennemis paieront leur dette à la justice. Cet homme, du côté où j'étais le plus en danger, m'est apparu dans mes projets comme un port où j'attacherais le câble de poupe, une fois arrivée à la ville et à la citadelle de Pallas. Mais déjà je vais te dire tous mes projets. Écoute des paroles qui ne sont pas pour te plaire. J'enverrai un de mes serviteurs auprès de Jason pour le prier de paraître à ma vue. Quand il sera venu, je lui dirai de douces paroles, que nous sommes d'accord, qu'il fait bien de nous abandonner pour contracter alliance avec la princesse, que ses décisions sont utiles et heureuses. Je lui demanderai que mes fils restent ici, non que je veuille les laisser sur une terre hostile exposés aux outrages de mes ennemis, mais pour tuer par mes ruses la fille du roi. Car je les enverrai les mains chargées de cadeaux les porter à la jeune épousée pour qu'on ne les bannisse pas de ce pays : un voile fin et un diadème d'or ciselé. Si elle prend la parure et la met sur sa peau, elle périra dans d'horribles souffrances et avec elle quiconque la touchera, tellement seront violents les poisons dont j'imprégnerai ces présents. — Mais ici je m'arrête et je pleure sur l'action qu'il me faut accomplir ensuite. Car je tuerai mes propres enfants; il n'y a personne qui puisse les arracher à la mort. Et quand j'aurai bouleversé toute la maison de Jason, je sortirai du pays, m'exilant pour le meurtre de mes fils bien-aimés, après avoir osé le plus sacrilège des crimes. Non, je ne puis supporter, mes amies, d'être la risée de mes ennemis. Poursuivons! Que leur sert de vivre ? Je n'ai ni patrie, ni demeure, ni refuge contre les malheurs. La faute, je l'ai faite quand j'ai abandonné la demeure de mon père, séduite par les paroles d'un Grec qui, avec l'aide des dieux, nous paiera sa dette à la justice. Non, les fils qui sont nés de moi, il ne les verra plus vivants désormais! Non, de la jeune femme qu'il vient d'épouser il n'aura pas de fils puisqu'il faut que misérablement la misérable périsse victime de mes poisons! Que nul ne m'estime lâche et faible, ni résignée non plus! Mon caractère est fait de contrastes : terrible pour mes ennemis, pour mes amis bien disposée. Il n'y a que de telles natures pour avoir une vie riche de gloire.

LA CORYPHÉE

Puisque tu nous as communiqué ton projet, je veux et te servir et prendre la défense des lois humaines : crois-moi, n'accomplis pas ces crimes.

MÉDÉE

Je ne puis faire autrement. Mais je te pardonne tes paroles : tu n'es pas, comme moi, lâchement maltraitée.

LA CORYPHÉE

Tu oseras tuer tes deux fils, femme ?

MÉDÉE

C'est là ce qui déchirera surtout le coeur de mon mari.

LA CORYPHÉE

Mais toi, tu seras la plus malheureuse des femmes.

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