Histoire des arts : "Intérieur", ou "le Viol", d'Edgar Degas


Edgar Degas, Intérieur dit aussi Le Viol, vers 1868-1869

Huile sur toile, 81 x 116 cm

Philadelphie, Philadelphia Museum of Art

Collection Henry McIlhenny


Les historiens placent volontiers ce tableau sous le signe de la littérature contemporaine et naturaliste, et de ses crimes. Georges Rivière renvoie à une scène rédigée par Edmond Duranty dans un feuilleton publié en 1868 dans L’Evènement illustré et intitulé « Les combats de Françoise d’Hérilieu« , où l’héroïne est brutalisée par son mari à la recherche des lettres de son amant, et Théodore Reff à une scène de Thérèse Raquin de Zola, parue dans l‘Artiste en 1867, dans laquelle les deux amants se retrouvent après leur assassinat commun.

Il n’est pas certain cependant que Degas ait donné ce titre, Le Viol, au tableau. Ainsi, lorsqu’il le vend à Durand-Ruel en 1909, il est intitulé plus laconiquement Intérieur (scène d’intérieur). Certains de ses exégètes, eux, Ernest Rouart ou Paul-André Lemoisne, affirment que Le Viol est bien le titre voulu par Degas. L’hésitation entre un titre anodin, neutre, banal, et un autre, expressément dramatique, révèle toute l’ambiguïté de l’oeuvre. S’il ne s’agit que d’une scène d’intérieur, comme la peinture en a fourni des centaines, pourquoi cette impression de violence. S’il s’agit d’un viol, comment lier la mise en scène, si avare d’indices, avec la notion de crime que retrouve ce mot ? Le lit n’est pas défait, on ne relève pas de trace de lutte.

S’il ne s’agit que d’un « intérieur », force est de constater que nous assistons manifestement, et au minimum, à l’intrusion d’un homme dans un intérieur féminin. L’homme se tient toujours dans la pièce, son manteau reposé sur le lit. Placé sur une commode à l’opposé du manteau, se trouve un haut-de-forme qui marque ainsi l’emprise de l’homme sur le lieu.

La position de la femme, à demi cachée, à demi repliée sur elle-même, confirme qu’elle a laissé prendre le pouvoir au cours de la scène. Cette intrusion est rendue clairement explicite par la cassette ouverte, capitonnée d’un textile rose et rouge, placée sous la lumière de la lampe. Degas introduit, par cette objet à forte connotation féminine, largement béant et crûment éclairé, la métaphore du viol. Il reprend les codes de la peinture de genre contemporaine, celle d’Alfred Stevens par exemple, par lesquels une lettre, une fleur, un bijou, un miroir laissent deviner la complexité des relations hommes/femmes. Mais il élève ces historiettes au niveau de la tragédie: rien n’est montré, rien n’est certain, rien n’est sous-entendu, mais l’artiste nous conduit par la composition, les couleurs, la lumière, à envisager la cassette comme un sexe féminin outragé et exposé. L’intérieur comme une scène de crime. Le crime comme un viol.

Alimentant la tension psychologique que Degas crée magistralement, et loin de la littérature à laquelle ses commentateurs se réfèrent, il y a la composition même de l’oeuvre. Par le cadrage et même la topographie, les accessoires et les personnes, Degas pose sur les éléments du drame le regard scientifique des assistants d’Alphonse Bertillon sur une scène de crime. (source Laurence Madeline, Conservateur en chef au musée d’Orsay).


Source : http://aidart.fr/galerie-maitres/impressionnisme/interieur-dit-aussi-le-viol-degas-vers-1868-1869-2128.html





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