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Corpus sur les personnages criminels

Question : Après avoir lu ces quatre textes, caractérisez le personnage en action, et mettez vos remarques en relation avec le style adopté par l'auteur. 


Texte 1 : le Moine, de Matthew Lexis

À trouver ici


Texte 2 : Victor Hugo, Le Dernier jour d’un condamné, 1829

Condamné à mort !

Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !

Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes[1] d’évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre. 

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort !

Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtes, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot, m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau.

Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : - Ah ! ce n’est qu’un rêve ! – Eh bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s’entrouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne[2] reluit à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : - Condamné à mort !

XXXIX

 

Ils disent que ce n’est rien, qu’on ne souffre pas, que c’est une fin douce, que la mort de cette façon est bien simplifiée.

Eh ! qu’est-ce donc que cette agonie de six semaines et ce râle de tout un jour ? Qu’est-ce que les angoisses de cette journée irréparable, qui s’écoule si lentement et si vite ? Qu’est-ce que cette échelle de tortures qui aboutit à l’échafaud ?

Apparemment ce n’est pas là souffrir.

Ne sont-ce pas les mêmes convulsions, que le sang s’épuise goutte à goutte, ou que l’intelligence s’éteigne pensée à pensée ?

Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ? Qui le leur a dit ?

Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas de mal !

Y a-t-il des morts de leur façon qui soient venus les remercier et leur dire : C’est bien inventé. Tenez-vous-en là. La mécanique est bonne.

Est-ce Robespierre[3] ? Est-ce Louis XVI ?...

Non, rien ! moins qu’une minute, moins qu’une seconde, et la chose est faite. Se sont-ils jamais mis, seulement en pensée, à la place de celui qui est là, au moment où le lourd tranchant qui tombe mord la chair, rompt les nerfs, brise les vertèbres… Mais quoi ! une demi-seconde ! la douleur est escamotée… Horreur !

 

Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné, 1829.




[1] Chapes : long manteau de cérémonie que les ecclésiastiques revêtent pour certains offices.

[2] Giberne : boîte recouverte de cuir, portée à la ceinture ou en bandoulière, où les soldats mettaient leurs cartouches.

[3] Révolutionnaire et homme politique français guillotiné le 27 juillet 1794.




Texte 3 : Gide, Les Caves du Vatican, 1914

 

Chez Lafcadio naît brusquement l’idée de tuer Amédée Fleurissoire, qui voyage dans le même train que lui. Cette pensée incontrôlée va se transformer en acte « désintéressé », «gratuit », « sans raison ni profit » 

 

Lafcadio redonna de la lumière. Le train longeait alors un talus, qu’on voyait à travers la vitre, éclairé par cette lumière de chaque compartiment projetée ; cela formait une suite de carrés clairs qui dansaient le long de la voie et se déformaient tour à tour selon chaque accident du terrain. On apercevait, au milieu de l’un d’eux, danser l’ombre falote de Fleurissoire ; les autres carrés étaient vides.

« Qui le verrait ? pensait Lafcadio. Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture, que je peux faire jouer aisément ; cette porte qui, cédant tout à coup, le laisserait crouler en avant ; une petite poussée suffirait ; il tomberait dans la nuit comme une masse ; même on n’entendait pas un cri… Et demain, en route pour les îles !... Qui le saurait ? »

La cravate était mise, un petit nœud marin tout fait ; à présent Fleurissoire avait repris une manchette et l’assujettissait au poignet droit ; et, ce faisant, il examinait, au-dessus de la place qu’il occupait tout à l’heure la photographie (une des quatre qui décorait le compartiment) de quelque palais près de la mer.

« Un crime immotivé, continuait Lafcadio : quel embarras pour la police ! Au demeurant, sur ce sacré talus, n’importe qui peut, d’un compartiment voisin, remarquer qu’une portière s’ouvre, et voir l’ombre du Chinois cabrioler. Du moins les rideaux du couloir sont tirés… Ce n’est pas tant des événements que j’ai curiosité, que de moi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d’agir, recule… Qu’il y a loin, entre l’imagination et le fait !... Et pas plus le droit de reprendre son coup qu’aux échecs. Bah ! qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt !... Entre l’imagination d’un fait et… Tiens ! le talus cesse. Nous sommes sur un pont, je crois ; une rivière… »

Sur le fond de la vitre, à présent noire, les reflets apparaissaient plus clairement. Fleurissoire se pencha pour rectifier la position de sa cravate.

« Là, sous ma main, cette double fermeture – tandis qu’il est distrait et regarde au loin devant lui – joue, ma foi ! plus aisément qu’on eût cru. Si je puis compter jusqu’à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir[4] est sauvé. Je commence : Une ; deux ; trois ; quatre ; (lentement ! lentement !) cinq ; six ; sept ; huit ; neuf… Dix, un feu !... » Fleurissoire ne poussa pas un cri.

Gide, Les Caves du Vatican




Texte 4 : Robert Merle, La mort est mon métier, 1952.

 

Je désespérais presque de trouver une solution à cette difficulté majeure quand un hasard providentiel me la fournit. Une semaine avant la date fixée par le Reichsführer pour la remise du plan, je fus averti officiellement de la visite de l’Inspecteur des Camps Gruppenführer Goertz. En conséquence, je fis procéder  un grand nettoyage des locaux du KL, et la veille de l’inspection, je les inspectai moi-même avec la plus grande minutie. Je tombai ainsi sur une petite pièce où était entassé un monceau de petites boîtes cylindriques marquées : « Giftgas[5] » et au-dessous : « Cyclon B ». C’était le reliquat du matériel que la firme Weerle et Frischler avait apporté, un an auparavant, de Hambourg, pour débarrasser de leur vermine les casernes des artilleurs polonais. Ces boîtes pesaient un kilo, elles étaient hermétiquement closes, et quand on les ouvrait, je me rappelai qu’elles révélaient des cristaux verts qui, au contact de l’oxygène de l’air, dégageaient aussitôt leur gaz. Je me souvenais aussi que Weerle et Frischler nous avaient envoyé deux aides techniques, que ceux-ci avaient mis des masques à gaz, et pris toutes sortes de précautions avant d’ouvrir les boîtes, et j’en conclus que ce gaz était tout aussi dangereux pour l’homme que pour la vermine.

Je décidai immédiatement de mettre ses propriétés à l’épreuve. Je fis percer dans le mur des deux installations provisoires de Birkenau un trou de diamètre convenable, et je le munis d’une soupape extérieure. Des inaptes, au nombre de 200, ayant été rassemblés dans la salle, je fis déverser le contenu d’une boîte de « Cyclon B » par cette ouverture. Aussitôt, des hurlements s’élevèrent, et la porte et les murs résonnèrent de coups violents. Puis, les cris faiblirent, les coups se firent moins violents, et au bout de cinq minutes, un silence total régna. Je fis mettre leurs masques à gaz aux SS, et je donnai l’ordre d’ouvrir toutes les ouvertures pour établir un courant d’air. J’attendis encore quelques minutes et je pénétrai le premier dans la salle. La mort avait fait son œuvre.

Le résultat de l’expérience dépassait mon espoir : il avait suffi d’une boîte d’un kilo de Cyclon B pour liquider, en dix minutes, 200 inaptes. Le gain de temps était considérable, puisqu’avec le système de Treblinka, il fallait une demi-heure, sinon davantage, pour atteindre le même résultat. Par ailleurs, on n’était pas limité par le nombre de camions, les pannes mécaniques, ou le manque d’essence. Le procédé, enfin, était économique, puisque le kilo de Giftgas – comme je le vérifiai aussitôt – ne coûtait que 3 marks 50.

Je compris que je venais de trouver la solution du problème. J’aperçus du même coup la conséquence capitale qui en découlait. Il allait de soi, en effet, qu’il fallait abandonner le système des petites salles de 200 personnes que j’avais emprunté à Treblinka. La médiocre contenance de ces chambres ne se justifiait que par la faible quantité de gaz qu’un moteur de camion pouvait produire, car il n’y avait, en fait, que des désavantages à fractionner un convoi de 2000 inaptes en petits groupes de 200 unités, et à les acheminer vers des salles différentes. Le procédé demandait du temps, exigeait un service d’ordre compliqué, et en cas de révoltes simultanées, posait même de graves problèmes.

A ces inconvénients, l’emploi du Cyclon B, de toute évidence, remédiait. Puisqu’on n’était plus limité par la faible productivité en gaz d’un camion, il était clair, en effet, qu’on pourrait, en utilisant le nombre requis de boîtes de Cyclon B, gazer, dans une salle unique, la totalité d’un convoi.

En envisageant la construction d’une salle de dimensions aussi grandioses, je compris que je concevais, pour la première fois, des moyens à l’échelle de la tâche historique qui m’incombait.

[…]

La période de tâtonnements et d’angoisse était close. Je pouvais regarder l’avenir avec confiance. J’étais sûr désormais d’atteindre, et même de dépasser, le rendement prévu par le plan.

En ce qui me concernait, je pouvais presque me contenter des fours. En en prévoyant 32 pour l’ensemble des quatre grands établissements que je devais construire, je pouvais arriver à un rendement global de 8000 corps par 24 heures, chiffre qui n’était inférieur que de 2000 unités au « rendement de pointe » prévu par le Reichsführer. Une seule fosse auxiliaire, par conséquent, suffirait à brûler, le cas échéant, les 2000 unités restantes ;

A vrai dire, je n’aimais pas beaucoup les fosses. Le procédé me paraissait grossier, primitif, indigne d’une grande nation industrielle. J’avais conscience, en optant pour les fours, de choisir une solution plus moderne. Les fours avaient, de plus, l’avantage de garantir mieux le secret, puisque la crémation était effectuée, non pas en plein air, comme pour les fosses, mais à l’abri des vues. En outre, il m’avait paru souhaitable, dès le début, d’enfermer dans un même édifice tous les services nécessaires à l’action spéciale. Je tenais beaucoup à cette conception, et j’avais pu voir, par la réponse du Reichsführer, qu’elle l’avait également séduit. Il y avait, en fait, quelque chose de satisfaisant pour l’esprit dans la pensée qu’à partir du moment où ces juifs seraient réduits en cendres, toute l’opération se déroulerait, sans heurt, dans un même lieu.

En creusant davantage cette idée, je vis qu’il fallait, comme dans une usine, mettre en place une chaîne continue qui conduirait les personnes à traiter, du vestiaire à la chambre à gaz, et de la chambre à gaz aux fours, dans un minimum de temps. Comme la chambre à gaz était souterraine, et que la chambre des fours devait être située à l’étage supérieur, je conclus que le transport des corps, de celle-là à celle-ci, n’était concevable que par des moyens mécaniques. On imaginait mal, en effet, les hommes du Sonderkommando[6] traînant plusieurs centaines de corps par un escalier, ou même par un plan incliné. La perte de temps serait énorme. Je remaniai donc mon plan primitif et je décidai d’y ménager les emplacements nécessaires à quatre puissants ascenseurs, chacun d’une contenance de 25 corps environ. Je calculai que de cette façon, il faudrait seulement 20 voyages pour évacuer les 2000 corps de la chambre à gaz. Ce dispositif devrait être complété, à l’étage au-dessus, par des chariots, qui prendraient livraison des corps à la sortie des ascenseurs, et les mèneraient jusqu’aux fours.

 

 

Robert Merle, La mort est mon métier, 1952 (Folio p.271-273 et p.298-299).



[1] Chapes : long manteau de cérémonie que les ecclésiastiques revêtent pour certains offices.

[2] Giberne : boîte recouverte de cuir, portée à la ceinture ou en bandoulière, où les soldats mettaient leurs cartouches.

[3] Révolutionnaire et homme politique français guillotiné le 27 juillet 1794.

[4] Tapir : nom d’un mammifère ; élève qui prend des leçons particulières (argot de l’Ecole normale supérieure).

[5] Giftgas : gaz toxique

[6] Kommando spécial

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